Serge Gains­bourg pour vous, c’est un deuil impos­sible ?

Jane Birkin : « Ce n’est pas un deuil en tout cas. Les artistes conti­nuent de vivre si on conti­nue de les jouer ou de le chan­ter. J’ai vu récem­ment le Dom Juan de  Molière par Jean-François Siva­dier, j’ai adoré, des gens ont détesté, mais je me suis dit : « Molière a de la chance, il est bien vivant !  ». Serge aussi a choqué des gens, il était provo­ca­teur, alors qu’il n’a pratique­ment pas fait de chan­son enga­gée, à part Aux armes etc.

Vous êtes aussi sa muse prin­ci­pale, celle qui lui survit…

Oui, il m’a donné des chan­sons jusqu’à sa mort, dont trois disques abso­lu­ment magni­fiques après que je l’ai quitté, de Baby alone à Amour des feintes. Je vais surtout chan­ter ces chan­sons-là.

« Gains­bourg et moi, c’était presque devenu comme une amitié entre deux garçons »

JANE BIRKIN

D’une certaine façon, votre sépa­ra­tion vous a réunis encore plus dans les chan­sons après…

Jane Birkin : C’est exac­te­ment ça. On est resté 12 ans ensemble, mais beau­coup plus après. Ça deve­nait presque comme une amitié entre deux garçons. Je ne suis pas sûr qu’une histoire aussi fidèle et aussi longue ait existé dans les autres arts. Les chan­sons qu’ils m’écri­vaient étaient surtout une part de lui-même, de son plus profond désar­roi.  Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve qui est abso­lu­ment sublime est aujourd’­hui jouée dans les enter­re­ments. Mais c’est aussi Bambou qui a permis qu’une telle amitié soit possible, sans jalou­sie. On luit doit beau­coup tous les deux. J’avais adoré aussi reprendre les chan­sons de Serge en duo, c’était là aussi une façon de les faire revivre, mais je ne pour­rai pas le faire sur cette tour­née…

Vous avez aussi chanté en duo avec Alain Cham­fort une chan­son magni­fique à la Gains­bourg qui s’ap­pe­lait T’as pas le droit d’avoir moins mal que moi

Oui, c’était extra­or­di­naire ! C’est telle­ment vrai, telle­ment juste sur les sépa­ra­tions. Alain Cham­fort a beau­coup d’hu­mour dans le chagrin, beau­coup d’au­to­dé­ri­sion. Il a cette même façon de mettre le doigt là où ça fait mal en restant léger.

Comment avez-vous choisi les chan­sons pour cette tour­née sympho­nique ?

Jane Birkin : Ce sera avant tout les chan­sons que Serge a écrites pour moi, même si j’ai­me­rais bien chan­ter Lemon Incest d’après Chopin ou d’autres chan­sons tirées de la musique clas­sique mais ce ne sera pas toujours possible. (elle récu­père sa setlist). Mais je chan­te­rai aussi La Gadoue, La Chan­son de Prévert, L’Ana­mour, La Java­naise ou L’Aquoi­bo­niste, que j’avais chanté a capella au début du concert du Casino de Paris après sa mort. C’est telle­ment lui… Mon frère à l’époque voulait que j’ar­rête le concert telle­ment j’avais le trac. Je l’ai toujours aujourd’­hui, c’est pour ça que je ne fais plus de théâtre. Pourquoi se met-on dans des états pareils ? Après, si je ne suis pas morte dans les 10 premières minutes, j’ai toujours l’or­gueil de faire bien ! D’ailleurs, je vais même chan­ter Requiem pour un con !

« C’est Patrice Chéreau qui m’a fait accep­ter ma voix au théâtre. Ce n’est qu’a­près que pu chan­ter en live, après mes 40 ans. »

JANE BIRKIN

Gains­bourg était génial, mais il était aussi feignant quand il réuti­li­sait des musiques, notam­ment clas­siques ?

Je ne pense pas. Il s’en­nuyait chez lui. Il venait tout le temps sur les tour­nages de mes films, pour s’ins­pi­rer. Avec le temps, il travaillait de plus en plus au tout dernier moment, alors qu’à l’époque de Melody Nelson, il figno­lait. Il a écrit Je t’ai­me… moi non plus ou Fuir le bonheur… en une nuit. Il avait besoin du stress pour créer.

Jane Birkin dans La Fausse suivante, mise en scène Patrice Chéreau,
au TNP à Villeur­banne en 1985.

On vous entend dans le dernier album de Vincent Delerm. Vous racon­tez que Serge vous trou­vait belle et que ça vous éton­nait…

Oh oui, il a été très élégant avec moi. Au départ il voulait que je chante une chan­son sur moi, mais je ne me sentais pas de faire ça. Il a gardé ces quelques mots pour la fin d’une chan­son à lui, c’est adorable. C’est vrai que je n’ai­mais pas du tout mon physique, comme je n’ai­mais pas ma voix. C’est Patrice Chéreau qui m’a fait accep­ter ma voix, notam­ment en jouant La Fausse suivante de Mari­vaux au TNP (en 1985, ndlr). Ce n’est qu’a­près que j’ai pu chan­ter en live, après mes 40 ans. Les textes et le phrasé de Serge étaient telle­ment précis que pour les chan­sons, je n’avais qu’à me lais­ser porter. »

Propos recueillis en 2016, RIP.