Vous pouvez le voir en avant-première au TNP à Villeurbanne. Le Suicidé, « vaudeville soviétique » de Nicolaï Erdman est une satire tragi-comique russe dont Jean Bellorini livre un grand spectacle, comédie musicale rythmée et drôlissime d’hier qui claque comme une radiographie politique d’aujourd’hui. Magnifique !

Le drôle de “suicidé” de ce “vaudeville soviétique”, c’est un jeune homme que tout le monde croit mort ou sur le point de mourir, alors qu’en précaire de son temps, il n’est attaché qu’à une seule chose : vivre, et aimer sa belle dulcinée… Son temps, c’est celui de 1928 et de l’interdiction de cette grande oeuvre contestataire de la culture russe (elle n’a pas pu être jouée avant 1978 en URSS et Nicolaï Erdman est mort en 1970). Mais c’est aussi le temps de la vitalité des jeunes russes d’aujourd’hui écrasée par la “guerre”, cette “guerre” dont Nicolaï Erdman livre un réquisitoire sans pareil dans un monologue final d’il y a bientôt cent ans alors qu’on pourrait croire qu’il vient de l’écrire hier. Jean Bellorini met en scène sa tragique actualité dans une dernière vidéo estomaquante qu’on vous laissera découvrir.

La troupe de Jean Bellorini dans les costumes de Macha Makeïeff pour La Suicidé, vaudevielle soviétique au TNP à Villeurbanne.
Les merveilleux costumes de Macha Makeïeff pour Le Suicidé de Jean Bellorini.

Une BD du régime stalinien en forme de comédie musicale

Mais cette vraie tragédie et aussi et surtout dans sa forme une pure comédie désespérée en forme de course à l’abîme. Le public rit sans cesse des échappées surréalistes de cet anti-héros naïf en slip blanc harcelé par la “conscience sociale” de l’intelligentsia (extraordinaire Damien Zanoly en commissaire absurde du régime). Dans la vision joyeuse et lucide de Jean Bellorini, la farce est même une comédie musicale dans laquelle les comédiens sont aussi chanteurs et musiciens (on retrouve l’essentiel de la troupe fidèle du Jeu des ombres, la précédente création de Bellorini pour le TNP). On chante au banquet, danse le pas de deux avec un hélicon ou livre une version live sublime du Creep de Radiohead comme un appel désespéré vers la liberté occidentale dans ce qui restera pour nous un des grands moments de théâtre de la saison. Les costumes de Macha Makeïeff (qui rappellent Moscou quartier des Cerises, la comédie musicale de Chostakovitch qu’elle avait montée à l’Opéra de Lyon) apportent une merveille graphique à cette espèce de BD du régime stalinien et la traduction de Markowicz toute la théâtralité de cette langue typique aux dialogues impayables : “ce qu’un vivant pense, seul un mort peut le dire !”.

François Deblock et la troupe de Jean Bellorini au TNP à Villeurbanne dans Le Suicidé.
François Deblock, acteur-poète dans la vision chantée et dansée de Jean Bellorini.

François Deblock, acteur-poète de haut vol

Dans une scénographie splendide, Jean Bellorini parvient surtout à faire de ce chef-d’oeuvre aux ruptures de ton permanentes typique de la culture russe, un récit fluide et parfaitement rythmé à travers différents niveaux de réalité. Jusqu’au complot qui s’orchestre en coulisses dans les images vidéos, ou les vraies-fausses funérailles d’un défunt fictif qui n’avait rien demandé, que de trouver sa place dans la société. A ce jeu tragi-comique, François Deblock est un acteur-poète de haut vol, physique d’allumette à l’étonnement naïf qui ne se départit jamais de la gravité du régime qui l’oppresse, et le condamne à la solitude au milieu des autres. Un grand spectacle, aussi drôle que politique, chef-d’œuvre d’hier et radiographie d’aujourd’hui. La plus belle raison d’être du théâtre.


Le Suicidé, vaudeville soviétique, de Nicolaï Erdman. Mise en scène Jean Bellorini. Du vendredi 6 au vendredi 20 janvier à 20h (dim 15h30) au TNP à Villeurbanne, grande salle Roger Planchon (2h15). De 14 à 25 €.

Le banquet de la troupe du TNP dans Le Suicidé, vaudeville soviétique de Nicolaï Erdman.
Le banquet du Suicidé de Nicolaï Erdman vu par Jean Bellorini. (photos J.P. Parisot)