Qui n’a jamais vu le visage de Renée Falco­netti dans la Jeanne de Dreyer ne peut pas avoir une idée tout à fait complète des émotions possibles au cinéma. Grâce au nouveau rendez-vous de l’Ins­ti­tut Lumière des ciné-concerts du cinéma muet accom­pa­gné au piano, vous allez pouvoir (re)voir le plus beau films du monde. Un oeuvre à la simpli­cité diaphane, qui se concentre sur le procès, jusqu’au bucher. Dreyer, lui, se concentre sur toute l’hu­ma­nité de l’âme d’une femme qui va survivre à ses oppres­seurs. Film mira­cu­leux au sens propre comme au sens figuré (le néga­tif, perdu, fut retrouvé par hasard dans un asile au Dane­mark), La Passion de Jeanne d’Arc est un vrai-faux film muet (tourné pour être parlant) dans lequel on jure­rait entendre les lèvres des person­nages qu’on voit bouger en gros plans. Avec des guests-stars incroyables, comme Anto­nin Artaud ou Michel Simon. Aucun prosé­ly­tisme ici : Jeanne n’est pas sainte, elle est un visage rustique faisant face à ses bour­reaux avec la vérité que Dreyer a toujours accordé à ses visages de femmes, se méta­mor­pho­sant au fur et à mesure de son supplice. Plus elle va souf­frir et plus le film s’ef­for­cera d’ex­traire son huma­nité lumi­neuse dans une blan­cheur quasi imma­cu­lée.

Nan Goldin avant l’heure

Mêlant l’ar­chi­tec­ture médié­vale la plus simple à des plans d’avant garde en plon­gée ou contre-plon­gée, un siècle d’art défile sous nos yeux, des yeux roulants du cinéma muet au réalisme déchi­rant d’une photo de Nan Goldin avant l’heure. Comme toujours, la souve­rai­neté fémi­nine et l’at­ten­tion pour les gestes d’hu­ma­nité innondent le cinéma de Dreyer : cheveux rasés, lèvres qui tremblent, un bébé tète le sein de sa mère dans l’as­sis­tance tandis que la comé­die humaine des hommes ricane autour du supplice de Jeanne. Les autres visages de femmes vien­dront la soute­nir sur le bûcher, pour ce qui consti­tue parmi les plus belles images qu’on n’ait jamais vues au cinéma. C’est poignant, fémi­niste, jusqu’aux dernières paroles qu’elle prononce et qu’on jure­rait avoir enten­dues. Un prodige.

L.H.

Carl Theo­dor Dreyer sur le tour­nage en France.

La Passion de Jeanne d’Arc de Carl Theo­dor Dreyer (Fr, 1h50, 1928) avec Renée Falco­netti, Anto­nin Artaud, Michel Simon… Accom­pa­gné au piano par Fred Escof­fier. Dimanche 3 octobre à 14h30 à l’Insti­tut Lumière, Lyon 8e. (photos Prod DB, Société géné­rale de films, remer­cie­ments Bruno Théve­non)