Quand on vous voit dans La Fine Fleur, on vous imagine dans votre jardin, comme on vous imaginait grande cuisinière dans Les Saveurs du Palais

Catherine Frot : “Pas du tout ! J’aime toutes les fleurs, pas particulièrement les roses, mais je n’ai pas la main verte, c’est pas mon truc ! Je ne suis pas très douée avec les plantes, mais j’adore les voir, me promener dans la nature. En revanche, je ne connaissais pas la préciosité exceptionnelle liée aux roses, tout cet artisanat, ça m’a fait l’effet d’une apparition, c’est un petit miracle de la nature. Je ne pensais pas forcément être la bonne personne pour jouer ce personnage au départ, mais elle m’a touchée, en plus de l’originalité du sujet lié aux producteurs de roses dans la région.

Elle est assez désagréable dans un premier temps, elle voit arriver ceux qui sont à ses yeux trois pieds nickelés, elle est dans une solitude fermée, elle a un chemin à accomplir c’est évident, en plus de garder un lien mystérieux et un peu encombrant à son père. Je me suis dit qu’il y avait quelque chose à jouer. C’est ce qui me touchait particulièrement dans le film de Pierre : le parallèle entre l’excellence des roses et l’excellence des rapports humains : sortir de tous les tabous par le travail, l’attention, le respect. C’est autant un film sur la beauté des relations humaines que sur la beauté des fleurs. Et j’ai plaisir aujourd’hui à aller vers des choses tendres et fortes.

« J’ai plaisir aujourd’hui à aller vers des choses tendres et fortes.« 

CATHERINE FROT
Catherine Frot et sa bande dans La Fine Fleur de Pierre Pinaud.

Vous avez toujours aimé travailler avec de jeunes réalisateurs plutôt que dans des comédies plus confortables, vous y trouvez davantage votre compte ?

Oui, des grosses comédies très confortables, je n’en ai pas fait beaucoup, je suis toujours dans le petit péril ! J’ai besoin de risque, et j’ai besoin de progresser. Quand j’ai fait Les Saveurs du Palais, je ne savais pas faire la cuisine non plus, mais j’adore créer l’illusion, la précision des gestes, les accessoires pour faire vivre un personnage, le rendre crédible. C’est comme ça que j’ai utilisé ma propre pipe pour La Fine Fleur.

Non seulement vous êtes devenue populaire en restant très à part, mais vous avez aussi rendu vos personnages populaires en les faisant entrer dans l’imaginaire collectif, ce qui est plus rare, comme La Dilettante, Un Air de famille ou Marguerite

Je vais vous dire, pour moi c’est pour une raison très simple : quand je les ai joués, j’ai envie de disparaître ! Je n’ai pas tellement envie de me mettre en avant comme comédienne, je m’en fiche un petit peu. Je n’y arrive pas, je suis même un peu maladroite avec ça… C’est mon travail qui me plaît ! Il me passionne. Comme voir le résultat avec le public par exemple lors des avant-premières, parce qu’on se retrouve face à la vérité de ce qu’on a tenté, c’est tout ce que j’aime. J’adore l’illusion, donner vie à des personnages pour qu’on y croit, je pourrais tous les dessiner, les croquer presque !

Un peu comme Jean-Pierre Bacri aimait créer des personnages plus grands que lui, tout en restant en retrait des médias…

Exactement, les acteurs anglais aussi sont très forts pour ça. Personne ne les reconnaît dans la rue. Ils sont extraordinaires mais on ne les repère pas, j’adore ça !

« Au théâtre, le public ne vient pas pour vous voir jouer, il vient pour jouer avec vous. »

MICHEL BOUQUET

D’où vous vient ce goût pour l’illusion ?

Catherine Frot : Il y a une part que je maîtrise et une part que je ne maîtrise pas, honnêtement. C’est vrai que je me suis toujours sentie à part dans ma vie, pour beaucoup de choses, et l’illusion a toujours été quelque chose qui m’a totalement fascinée. J’ai vu le mime Marceau à l’âge de 9 ans et ça m’a renversée, c’était quelque chose de sublime, il créait tout un monde avec rien. Avoir vu ça enfant, ça m’a donné le niveau des choses à atteindre. Je ne suis pas mime, je suis actrice, mais je l’ai toujours gardé comme un idéal.

J’essaie à ma façon de progresser de rôle en rôle, qu’on croit le plus possible aux choses, aussi fantaisistes soient-elles. C’est ce qui me porte, je pense. Mais dès que j’ai fini un rôle, je disparais… J’avais un prof formidable au Conservatoire, Marcel Bluwal, qui nous faisait traverser une ligne rouge. Avant on n’était rien, nous-mêmes, dès qu’on franchissait la ligne, on devenait le personnage. C’est aussi simple que ça, la distanciation brechtienne ! (rires)

Vous étiez extraordinaire dans Fleur de cactus avec Michel Fau. Vous avez autant besoin de théâtre ?

Oui, j’ai surtout besoin de scène. Le théâtre me construit vraiment. Fleur de Cactus m’a appris énormément. J’aurais pu le jouer en tournée pendant encore au moins deux ans. Mais Michel ne voulait pas que quelqu’un le remplace… La comédie permet d’être le plus précis possible, et de savoir ce qu’on montre ou pas aux gens. Au théâtre, on a le retour tout de suite. C’est un sentiment extraordinaire. Michel Bouquet avait une phrase géniale pour décrire ce jeu avec le public : “Le public ne vient pas pour vous voir jouer, il vient pour jouer avec vous.” Il n’y a pas plus beau !”


La Fine Fleur de Pierre Pinaud (Fr, 1h35) avec Catherine Frot, Vincent Dedienne, Olivia Côte… Sortie le 30 juin.

Catherine Frot à l’hôtel Carlton à Lyon lors de notre entretien le 14 juin.