On ne va pas se mentir. C’est une œuvre mineure, et une œuvre datée que ce Béatrice et Bénédict. Une œuvre des années 60 (1860 !), dans laquelle Berlioz s’agite et se pavane, en adaptant Beaucoup de bruit pour rien, comme s’il était meilleur librettiste que Shakespeare, ce qu’il n’est évidemment pas.

Et pourtant, il y a une vitalité et une liberté d’esprit vraiment réjouissantes dans cette sorte de collage opératique qui essaie de faire rire, de s’amuser une dernière fois (Béatrice et Bénédict est la dernière œuvre lyrique du compositeur de La Côte Saint-André), en révolutionnant un genre à son époque qui a été depuis autrement mieux déconstruit, depuis longtemps.

Béatrice et Bénédict, mais pas la bague au doigt…

La civilisation du mariage à l’état sauvage.

Il y a surtout un très bon metteur en scène, Damiano Michieletto, qui arrive à donner une forme scénographique et réaliser un spectacle malicieux avec cette œuvre qui tient à peine debout, charmante comme La Tour de Pise du spectacle lyrique. La mise en abîme de ce Béatrice et Bénédict dans un cube blanc truffé de micros d’enregistrement est tout sauf un prétexte : elle permet de jouer sur la satire du mariage et des conventions sentimentales, en offrant aux jeunes chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon un tremplin pas trop glissant (mais parfois un peu gloussant) pour leurs gosiers.

Eden et jolies petits fesses volages

Béatrice et Bénédict, entre mariage et Eden (photos Bertrand Stofleth)

Le deuxième acte de cet opéra comique (avec dialogues parlés donc, incidents) fait revivre le paradis perdu d’un couple de l’Eden aux jolies petites fesses dénudées au milieu de la jungle, dans un esprit volage bienvenu. Les retournements du décor garantissent un spectacle plaisant jusqu’au bout dans lequel la musique devient de plus en plus inspirée jusqu’à la mélancolie (superbe duo en ouverture de la seconde partie). La lucidité des amours libres finit par échapper aux conventions de l’opéra du XIXe siècle… même si Berlioz y appartient encore, malgré lui.

Béatrice est cernée. (photos Bertrand Stofleth)

Mais cette nouvelle production (créée en 2020 pendant le Covid sans avoir pu être montrée depuis) a le grand mérite de faire renaître les derniers feux d’un artiste inclassable, en s’amusant d’une civilisation du mariage tellement conformiste qu’elle apparaît largement moins évoluée que le singe qui évolue sur la scène aux côtés des mariés récalcitrants. L’intention de Berlioz était sans doute plus sauvage que le résultat ne sonne aujourd’hui à nos oreilles. Damiano Michieletto a su en traduire tout l’esprit dans une production espiègle et intelligente.

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