Vous prenez la tête des Célestins au moment d’une augmentation du budget municipal, j’imagine que pour vous c’est un bel accueil…

Pierre-Yves Lenoir : “On va dire que je n’y suis pas tout à fait étranger… (sourire) En tant que régie directe, on a subi toutes les augmentations salariales des personnels en même temps que le gel des subventions depuis 2015. Il y a des avantages et des inconvénients à toute forme juridique, et la Ville nous avait déjà très bien accompagné pendant la crise sanitaire, mais avec l’augmentation du point de la fonction publique en juillet dernier et le doublement de la facture d’énergie qu’on subit tous, on n’y arrivait plus sans entamer la marge artistique.

On a donc surtout trouvé un moyen avec la Ville pour que ces augmentations soient décorrélées du budget à la culture qu’elle a sanctuarisé. C’est donc sur le budget général de la mairie qu’on a joué, pour laisser intact la capacité artistique.

A combien s’élève la marge artistique pour un budget comme les Célestins ?

Une fois qu’on a payé tous les frais fixes, il nous reste environ 800 000 euros comme moyens de production. Avec le différentiel de la billetterie et du mécénat d’entreprise, qu’on développe. C’est aussi notre rôle d’abonder la marge artistique par des financements privés.

La grande salle rouge du théâtre des Célestins vue de la scène.
La grande salle des Célestins vue de la scène. (photo Ronan Siri)

Vous avez reçu une formation managériale. Ce n’est pas si courant dans le milieu du théâtre…

Oui, je viens de Saint-Etienne, j’ai fait une prépa HEC à Lyon au lycée du Parc, puis l’Edhec, une des grandes écoles de management à Lille. Ça m’a beaucoup apporté, mais je ne voyais pas trop le sens de ce qui m’était proposé à l’époque, que ce soit dans la finance ou dans la grande distribution… C’était déjà le spectacle vivant qui m’intéressait, et même un peu plus la musique, qui est ma deuxième passion.  C’est Daniel Benoît à la Comédie de Saint-Etienne qui m’a pris en stage à l’été 1992 et qui m’a permis de faire ma première rencontre avec le théâtre et le service public. Ça m’a tout de suite passionné. En sortant de l’école, je me suis donc tourné vers cette voie et c’est André Guittier (ancien directeur du théâtre du Point du jour à Lyon, ndlr) qui m’a signé mon premier contrat à Lille.

Vous êtes ensuite passé par l’Odéon à Paris ?

Je suis d’abord parti à la Colline pendant 5 ans avec Lavelli et Françon. Puis au théâtre du Rond-Point avec Jean-Michel Ribes. Et effectivement l’Odéon ensuite avec Luc Bondy, Olivier Py et Stéphane Braunschweig. Puis Claudia (Stavisky, ndlr) aux Célestins. C’est ce qui explique que je ne puisse pas penser la direction d’un lieu sans une collaboration avec les artistes. Ça a toujours été le cas, j‘ai toujours été en co-direction jusqu’ici. Mon rôle principal a toujours été de rendre possible les projets artistiques, de favoriser l’inattendu. C’est ce que je souhaite faire aujourd’hui avec un collectif d’artistes aux Célestins, qui a toujours été un théâtre de création. Je ne pars pas de zéro, loin de là…

« Je ne suis pas venu à Lyon pour faire du catéchisme, ce serait malvenu ! »

Pierre-Yves Lenoir, nouveau directeur du theatre des celestins

Votre passion pour la musique pourrait vous conduire à faire plus de théâtre musical ?

Oui, et même pourquoi pas uniquement de la musique, en collaboration avec d’autres structures comme les Nuits Sonores ou les Nuits de Fourvière, comme on l’a déjà fait, au moins plusieurs fois dans l’année. On le fera, ça fait partie des pistes, même si ce n’est pas l’axe prioritaire de mon projet. 

On assiste de plus en plus souvent au théâtre à un cahier des charges d’enjeux sociétaux, qui quand il prend le pas sur tout le reste peut aboutir à l’uniformisation des programmations, comme un nouveau catéchisme culturel… Revendiquer la création, est-ce aussi pour échapper à une forme de bien-pensance ?

Oui, je ne suis pas venu à Lyon pour faire du catéchisme ! (rires) Ce serait malvenu… Que les grandes problématiques sociétales soient abordées sur les plateaux, c’est une évidence. Mais je pense que le public a aussi besoin de grands récits qui l’amènent ailleurs, qui suscite l’imaginaire. Il faut un juste équilibre. De la même façon, les actions pour la sensibilisation, la participation, le développement de l’amour du théâtre par sa pratique font partie de nos missions, mais ne peuvent pas constituer un projet en soi.

Ce sont en revanche des questions d’autant plus importantes qu’on arrive à un moment charnière de renouvellement du public. Ça fait longtemps qu’on se le dit, mais cette fois on est en plein dedans. On a perdu la moitié des abonnés aux Célestins, (en tant qu’abonnement, pas en tant que public, ndlr) et leur âge moyen est de 65 ans. C’est donc la partie du public la plus fidélisée, qui s’est éloignée pour plein de raisons, dont la pandémie bien sûr, mais aussi certainement une façon de penser sa vie un peu différemment…

La crise du Covid a mis à nu des dysfonctionnements, remis en cause nos pratiques. Je pense qu’avant le Covid, de façon générale, on était dans une forme d’agitation maximale, de trop plein. Ce n’est donc pas étonnant qu’ensuite les spectateurs pensent différemment leur rapport à la sortie culturelle.

« Christian Ecq m’a toujours fait mourir de rire. C’est une affaire d’amitié de l’associer aux Célestins. »

Pierre-Yves Lenoir

Associer des artistes populaires comme Christian Ecq et Valérie Lesort, n’est-ce pas justement une façon de faire place à l’imaginaire ?

Absolument. Et là aussi, c’est une affaire d’amitié. J’ai rencontré Christian chez Daniel Mesguich en 1993… Il jouait Achille Talon dans un spectacle qui s’appelait Boulevard du boulevard du boulevard qui mélangeait déjà les genres de théâtre… Il m’a fait mourir de rire, j’avais adoré ce spectacle que j’ai vu plusieurs fois ! Comme on a accueilli ses trois derniers spectacles. Ça me fait donc particulièrement plaisir qu’il vienne dans le collectif des Célestins aujourd’hui. L’accompagnement des artistes, c’est avant tout une histoire d’amitié et d’admiration. C’est aussi rassurant pour moi de prendre cette direction avec des gens que j’aime profondément.”

Prochain spectacle aux Célestins : Sommeil sans rêve de Thierry Jolivet, artiste associé aux Célestins. Du 23 février au 4 mars à 20h. De 7 à 40 €.
Les 6 artistes associés dès la saison prochaine aux Célestins (trois femmes et trois hommes ) : Ambre Kahan (compagnie Get Out), Tatiana Frolova (théâtre KnAM), Louis Arene et Lionel Lingelser (Munstrum Théâtre), Valérie Lesort et Christian Hecq (compagnie Point fixe).