Vous avez lu l’au­to­bio­gra­phie de Pierre Gold­man il y a une quin­zaine d’an­nées. Quelle image aviez-vous de lui ?

Cédric Kahn : « Pierre Gold­man faisait partie des quelques mythes de la gauche révo­lu­tion­naire. Je savais qu’un demi-frère de Jean-Jacques Gold­man avait fait des trucs un peu louches, qu’il était un peu voyou, révo­lu­tion­naire, mais c’était flou. Le livre (Souve­nirs obscurs d’un juif polo­nais né en France, ndlr) était dans la biblio­thèque de mes parents, mais j’ai attendu d’avoir 35 ans pour le lire. Ça a été un choc immé­diat et je me suis dit : « il faut faire quelque chose avec cette histoire ». A partir de  sa person­na­lité qui est vrai­ment très inté­res­sante.

Le style épuré de la mise en scène était-il pensé dès le début ?

Je voulais que ce soit une expé­rience immer­sive et que le spec­ta­teur soit le plus possible à la place du juré. C’est aussi une déci­sion narra­tive, je ne voulais pas que le l’opi­nion soit influen­cée par des effets de cinéma ou de la musique, choses qui aurait pu créer un point de vue supplé­men­taire. On s’est vrai­ment mis au service de la parole.

Le procès est parti­cu­liè­re­ment vivant, que ce soit Gold­man, les avocats, le public, comment ça s’est fait sur le tour­nage ?

Je ne voulais surtout pas des d’ac­teurs bien peignés, bien costu­més, disant leur texte propre­ment… Je ne voulais pas d’un  film de procès clas­sique, donc j’ai un peu orga­nisé le bordel on va dire ! (rires). Mais le bordel on a beau l’or­ga­ni­ser, on n’est jamais sûr… Arthur Harari m’a dit : « tu es à la tête d’une machine folle qui va te dépas­ser  ».

Ce livre, c’est d’abord la nais­sance d’un grand écri­vain

Cédric Kahn

En termes de dispo­si­tif de tour­nage, je me suis battu pour avoir la salle pleine tout le temps parce que les comé­diens ne jouent pas du tout de la même manière devant 100 personnes et devant une salle vide. Ils étaient tenus à leur texte. En revanche, la salle décou­vrait le texte, ne connais­sait pas le déroulé du procès et était libre d’im­pro­vi­ser. C’est cette alchi­mie-là qui donne ce que vous voyez. Les acteurs se bagarrent avec la salle et non pas avec la caméra. 

Arthur Harari incarne maître Kiej­man dans Le Procès Gold­man.

Maître Kiej­man, à la fin du procès, a cette hési­ta­tion d’évoquer dans la plai­doi­rie sa propre origine juive et polo­naise. Vous êtes-vous posé la ques­tion de votre propre judéité en faisant ce film ?

C’est inté­res­sant, on ne me l’a jamais demandé comme ça. Non, il n’y a pas de ques­tion. Je pense qu’un réali­sa­teur pas juif aurait pu faire un film sur Pierre Gold­man ; je pense qu’un acteur non juif peut jouer Gold­man. Mais il ne le ferait pas pareil. On est aussi l’ar­tiste de la vie qu’on a eue. Moi, je n’avais jamais parlé de judéité dans mes films.

Ce qui est fort avec ce livre, c’est qu’a­près l’avoir lu, certains sont persua­dés qu’il était coupable et d’autres, inno­cent.

Son livre est un véri­table plai­doyer, écrit en prison, parce qu’il veut clamer son inno­cence et qu’il estime avoir été victime d’une injus­tice. Mais je crois que le livre est d’abord accueilli comme une œuvre litté­raire plus qu’un plai­doyer ou que la preuve de son inno­cence. C’est d’abord la nais­sance d’un grand écri­vain. Parce qu’il parle d’une période dont les gens parlent peu encore à l’époque : la Shoah. Il est l’un des premiers enfants de cette histoire à s’ex­pri­mer sur ses parents. Même des gens qui l’avaient vécue en parlaient peu à cette époque. C’est pour ça que ça reste un livre saisis­sant et culte, encore aujourd’­hui.”

Le Procès Gold­man de Cédric Kahn (Fr, 1h55) avec Arieh Worthal­ter, Arthur Harari, Stéphan Guérin-Tillié… Sortie le 27 septembre.