Pourquoi reve­nir à Fass­bin­der après Gouttes d’eau sur pierres brûlantes (2000) ?

François Ozon : “J’étais inti­midé car Les Larmes amères de Petra Von Kant dont mon film est tiré est vrai­ment un film culte de Fass­bin­der. Jusqu’ici, quand je faisais des adap­ta­tions comme Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, il s’agis­sait d’une pièce inache­vée que Fass­bin­der n’avait jamais portée au cinéma. Je m’étais senti plus libre. Là, le passage à l’acte s’est fait au moment du confi­ne­ment. J’avais peur de ne plus pouvoir tour­ner dans des condi­tions normales, et Petra Von Kant était le maté­riau idéal. Il l’avait tourné en dix jours à l’époque, dans une seule chambre.

« Je n’ai pas le bagage de souf­france de Fass­bin­der, je suis plus léger sans doute. »

françois ozon

Vous avez changé le sexe du person­nage prin­ci­pal, mais aussi le ton : on est plus proche de la comé­die acide comme souvent chez vous, que du mélo déses­péré de Fass­bin­der…

Un peu Fass­bin­der, un peu François Ozon : Denis Méno­chet en cinéaste dans Peter Von Kant.

Oui, j’avais l’in­tui­tion que Les Larmes amères de Petra Von Kant était un auto­por­trait de Fass­bin­der, ce que m’a confirmé Juliane Lorenz, sa dernière compagne et monteuse. Mais effec­ti­ve­ment, si je l’adap­tais, ce n’était pas pour faire la même chose que Fass­bin­der. J’ai fait comme un metteur en scène de théâtre qui travaille sur un Tche­khov ou un Shakes­peare. Je me suis appro­prié son texte pour donner une vision qui me ressemble sans doute plus, mais j’ai malgré tout l’im­pres­sion d’avoir été fidèle à l’es­prit de Fass­bin­der, et ce qu’il veut racon­ter sur la passion amou­reuse ou l’em­prise. Il y a peut-être plus d’iro­nie, mais en même temps je ne suis pas alle­mand et je ne suis pas né pendant la guerre ! (rires) Je n’ai pas son bagage de souf­france, je suis un peu plus léger sans doute…

Hannah Schy­gulla avec Denis Méno­chet dans Peter Von Kant (photos Carole Bethuel).

Vous n’êtes pas alle­mand mais vous êtes cinéaste, et contrai­re­ment au film de Fass­bin­der qui se passait dans le milieu de la mode, celui-ci est le portrait d’un cinéaste. C’est aussi une forme d’au­to­por­trait pour vous ?

Je voulais montrer que Fass­bin­der avait survécu grâce à son travail. Godard disait de lui que c’était normal qu’il soit mort si jeune (37 ans, ndlr) vu le nombre de films qu’il avait faits. Il pouvait tour­ner jusqu’à dix films par an ! Mais Hannah Schy­gulla qui joue aussi dans mon film me disait qu’il n’était pas mort à cause du travail, mais à cause de sa souf­france liée à la concep­tion de l’amour… Le travail d’une certaine manière lui a permis de survivre. J’ai­mais bien cette idée.

Mais vous faites des allu­sions plus person­nelles au milieu du cinéma et à la façon de faire des films aujourd’­hui…

Oui, c’était aussi une manière de parler de moi évidem­ment et de mon rapport aux acteurs et aux actrices aussi.

D’où le fait que le film soit auto­pro­duit ?

Je n’avais pas envie de rendre des comptes à des produc­teurs et de me justi­fier. J’avais envie qu’on me fiche la paix ! Comme je savais que le film ne serait pas très cher avec peu de comé­diens, tourné en trois semaines et demie, je me suis auto­pro­duit. Mais tous mes parte­naires finan­ciers habi­tuels m’ont suivi quand même et on a pu travailler dans de très bonnes condi­tions, en soignant l’es­thé­tique et les décors notam­ment inté­rieurs. J’aime la théâ­tra­lité au cinéma, je trouve qu’on n’en fait pas assez souvent en France. Et je voulais retrou­ver l’es­prit de la grande liberté créa­tive des années 70, avec des choses moins cade­nas­sées et sexuel­le­ment correctes qu’aujourd’­hui. C’est pour ça que j’ai voulu conser­ver le film en Alle­magne et en 1972.

« J’avais proposé Sous le sable à Isabelle Adjani, mais je crois qu’elle ne l’avait même pas lu ! Cette fois elle a dit oui tout de suite. »

françois ozon
Isabelle Adjani avec Denis Méno­chet dans Peter Von Kant.

Vous offrez un second rôle à Isabelle Adjani que vous vouliez faire tour­ner depuis long­temps je crois…

C’est une actrice que j’adore, je lui avais déjà proposé Sous le sable il y a long­temps, mais je crois qu’elle ne l’avait même pas lu ! Elle n’avait pas pu faire partie de 8 femmes non plus. Je lui ai donc proposé celui-ci en pensant qu’elle allait à nouveau me dire non, surtout pour un rôle secon­daire et… elle m’a dit oui tout de suite ! C’est d’au­tant plus remarquable qu’elle l’a vrai­ment lu pour ce qu’é­tait le projet en soi et pas seule­ment pour sa parti­tion à elle. Je pense qu’elle y trou­vait beau­coup d’échos.

Vous avez l’air moins déses­péré en amour que Fass­bin­der, vous allez encore faire beau­coup de films ?

Oui, j’en ai déjà tourné un depuis ! (Made­leine, avec Isabelle Huppert, Dany Boon et Fabrice Luchini, ndlr).”

https://www.youtube.com/watch?v=WXe6yT3ERgw


Peter Von Kant de François Ozon (Fr-All, 1h26) avec Denis Méno­chet, Khalil Ben Ghar­bia, Isabelle Adjani, Stefan Crepon, Hannah Schy­gul­la… Sortie le 6 juillet. Lire la critique du film.