C’est la première fois qu’elle est donnée à l’Opéra de Lyon et c’est sans doute l’oeuvre la plus étonnante de Puccini. Créée triomphalement au Met Opera à New York en 1910 suite au premier voyage de Puccini aux Etats-Unis, La Fille du Far West représente un syncrétisme dans l’histoire de la musique comme il y en a peu.

Puccini à Broadway

On entend dès les premières mesures le Broadway qui habitera Bernstein, puis les effluves impressionnistes des flûtes à la Debussy, sans compter un orchestre rutilant comme un poème symphonique de Richard Strauss… Parti à la conquête du Nouveau Monde de la musique, Puccini s’inscrit en rupture avec ses succès précédents, à commencer par la Butterfly : Minnie sera la seule véritable héroïne émancipée du compositeur toscan, malgré une rédemption finale convenue d’un autre temps.

Mélo mais pas que

Il ne pourra quand même pas s’empêcher de s’adonner à ses effusions mélodramatiques aux gosiers hypertrophiés qui font sa marque de fabrique, et notre bonheur rital. C’est tout le problème de cette Fille du Far West sur le papier : si elle résume à elle toute seule l’histoire de la musique au tournant du XXe siècle, son intrigue de mélo capylo-tracté sous le chapeau de cowboy ne trouve jamais vraiment sa place dans un livret americano fourre-tout, aussi soucieux d’évoquer les « escarpins » de Minnie que les chercheurs d’or…

Des décors plus froids que le bureau d’Olaf Scholtz

Photos : Jean-Louis Fernandez.

Ce n’est pas la mise en scène impuissante de Tatjana Gürbaca qui va vous aider à y voir plus clair, malgré les figures archétypales du shérif, du bandit et de la tenancière de saloon. La metteuse en scène allemande invente une sorte de minimalisme encombrant dans des décors plus froids que le bureau d’Olaf Scholtz. Un comptoir abstrait grisâtre traverse toute la scène au premier acte, tandis que des buttes de plastique viennent compliquer encore un peu plus la circulation des personnages, avant qu’il ne reste paresseusement que des décombres, pour terminer la partie.

La mise en scène impuissante de Tatjana Gürbaca

Chiara Isotton et Riccardo Massi, les amants maudits de La Fille du Far West.

Même le grand moment de musique de la partie de poker à la fin du deuxième acte se trouve expédié sur un coin de tabouret invisible, sous une sorte de kiosque désaffecté typique des clichés éculés du regie theater du siècle dernier. Si la passion de Minnie pour son bandit occupe le texte du livret, elle ne prend jamais corps sur scène, pas aidée par une cape dorée au pompon particulièrement indélicat, ou des drôles de postures attribuées à la pauvre Chiara Isotton, obligée de chanter en pyjama ou de se déchausser dans un décor montant.

Riccardo Massi, le ténor qui va vous faire oublier Alagna

Claudio Sgura, magnifique shérif sorti d’un film de John Carpenter.

Peu importe, son chant est sublime et elle fut acclamée comme il se doit le soir de la première. Tout comme le Johnson de Riccardo Massi, le ténor qui vous fera oublier Roberto Alagna et qui possède peut-être le seul véritable air de la partition – déchirant – pour son adieu à Minnie. Le shérif de Claudio Sgura a la majesté des perdants – et pas qu’au poker – avec un des rares costumes réussis de la scénographie.

Rustioni superstar

L’essentiel est ailleurs : dans la vitalité et le drame symphonique que réussit à installer Daniele Rustioni dans la fosse, déployant toutes les facettes de cette musique polymorphe qu’il était temps de découvrir à Lyon. Les acclamations de la première étaient à la hauteur de cette distribution de haut vol, même si elles manquaient à la mise en scène. Nous ne saurions être davantage d’accord.

Photos : Jean-Louis Fernandez.

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