Qu’est-ce qui vous a fait postu­ler au Ballet de l’Opéra de Lyon ?

Cédric Andrieux : “ L’été dernier en 2022 j’avais été appelé à parti­ci­per au proces­sus de recru­te­ment de l’Opéra de Paris… Ça me parais­sait assez loufoque ! Je voyais beau­coup d’autres personnes plus quali­fiées que moi pour ce ballet-là, mais j’ai dû écrire un projet… En reve­nant de vacances, pour rassu­rer mes équipes, je leur avais dit qu’e je n’y croyais pas’il n’y avait pas lieu de s’inquié­ter, mais que s’il y avait une compa­gnie qui m’in­té­res­sait, ce serait le ballet de l’Opéra de Lyon.

Pourquoi ?

Parce qu’a­vant de vouloir le diri­ger j’avais voulu y danser. C’est un ballet unique dans le paysage choré­gra­phique. Il propose à la fois fait les grandes pièces qu’on peut attendre d’un ballet, comme celles de William Forsythe, Mats Ek ou Jiri Kylian, et en même temps il a toujours pratiqué des expé­ri­men­ta­tions avec les artistes les plus contem­po­rains, comme Maguy Marin bien sûr, Chris­tian Rizzo ou… Jérôme Bel. C’est cette part impor­tante accor­dée à la créa­tion contem­po­raine qui réson­nait avec mon parcours, ayant dansé avec Merce Cummin­gham à New York.

Il y a à Lyon du réper­toire qu’on peut trou­ver ailleurs et du réper­toire qu’on ne peut trou­ver ailleurs. C’est comme ça que j’y suis entré, grâce à Yorgos Loukos, le direc­teur à l’époque, et c’est pour ça que j’y reviens aujourd’­hui. J’ai été très heureux dans cette compa­gnie pendant trois ans, entre 2007 et 2010, et c’est ici qu’est né le solo que Jérôme Bel a écrit pour moi et qui m’a fait le quit­ter pour aller le jouer aux quatre coins du monde… On l’a quand même joué plus de 400 fois !

« Le ballet de l’Opéra de Lyon a une place à part dans le paysage choré­gra­phique : il a toujours pratiqué à la fois le grand réper­toire et les expé­ri­men­ta­tions vers la danse contem­po­raine. »

Cédric Andrieux

Ce n’est pas banal d’avoir une oeuvre qui porte son nom. Vous vous sentez toujours danseur ?

Non. C’était tout le projet de Jérôme que de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas habi­tuel­le­ment… Il avait sans doute deviné que ce serait un peu ma dernière pièce comme danseur, et que je prépa­rais à ma deuxième vie… J’ai ensuite repris mes études et travaillé dans diffé­rentes insti­tu­tions, jusqu’au Conser­va­toire de Paris.  J’ai commencé à être danseur à 20 ans, j’ai eu la chance de beau­coup voya­ger dans le monde à une époque où c’était facile. J’avais le désir d’être sur scène et j’ai eu la chance de l’as­sou­vir bien au-delà de mes espé­rances !

Ensuite, je voyais que le corps allait peut-être fati­guer, que le désir que je pouvais provoquer chez les uns ou les autres allait peut-être s’amoin­drir (sourire), et que le mien chan­geait aussi. J’ai décé­léré progres­si­ve­ment de façon assez natu­relle, même si la dernière date du solo était à Limoges en février de cette année. C’était une belle porte de sortie.

Extrait du solo Cédric Andrieux écrit pour lui par Jérôme Bel.

Mais pas l’Opéra de Paris ?

Non, je ne me sentais pas légi­time. C’est un ballet qui a une école, qui défend un type de réper­toire très parti­cu­lier, tech­nique. Il vaut mieux en avoir fait partie pour diri­ger les diffé­rents corps de métier et les 154 danseurs. Il se suffit à lui-même et reste prin­ci­pa­le­ment basé à Paris. J’ai un profil plus malléable pour ouvrir le ballet sur d’autres formes. Ce qui m’in­té­resse, c’est de monter des projets et des parte­na­riats et de faire vivre un collec­tif. C’est pour ça que je me suis recon­verti dans le mana­ge­ment et l’en­ca­dre­ment avant de diri­ger la danse au Conser­va­toire de Paris. Avec l’idée que peut-être un jour je pour­rais diri­ger une compa­gnie…

Diri­ger un collec­tif dont vous faisiez partie comme inter­prète, ça doit être une marque de confiance impor­tante pour les danseurs actuels…

Peut-être, je ne sais pas…

La parole des inter­prètes s’est consi­dé­ra­ble­ment libé­rée depuis le départ de Yorgos Loukos (suite à la plainte d’une danseuse, ndlr). Vous avez d’ailleurs créé un master d’in­ter­pré­ta­riat au CNSMD à Paris. C’était une façon pour vous de mieux les consi­dé­rer ?

Oui, j’ai le senti­ment de façon géné­rale qu’on infan­ti­lise un peu trop les inter­prètes. Je voulais leur redon­ner du crédit. On ne peut expé­ri­men­ter que sur des bases solides. Toutes les compa­gnies actuelles ont traversé des crises comme celle du ballet de l’Opéra de Lyon. La mission première que je me suis donnée, c’est de recons­truire et de fédé­rer pour faire vivre un collec­tif apaisé et l’em­me­ner vers de nouveaux projets.

La Belle au bois dormant de Tchai­kovski, revue et corri­gée par Marcus Mauro pour le ballet de l’Opéra de Lyon. Du 12 au 19 novembre à l’Opéra de Lyon. (photo Jean-Louis Fernan­dez)

Avec toujours la même diver­sité d’es­thé­tiques ?

Toujours. Il faut d’abord recons­truire des bases solides pour pouvoir aller vers de grands noms qui savent écrire pour un plateau consé­quent. Être capable d’in­ven­ter un langage corpo­rel exigeant en sachant racon­ter une histoire en plateau n’est pas donné à tout le monde. Des grands noms comme Anne Teresa de Keers­mae­ker, Maguy Marin ou François Chai­gnaud, qui ont des liens très forts avec la musique pour­raient nous permettre de créer des grands spec­tacles, notam­ment en profi­tant du choeur et de l’or­chestre. C’est ce que nous envi­sa­geons avec Tiago Guedes pour la Bien­nale de la danse 2025. Mais je reste aussi atten­tif à ce qu’une nouvelle géné­ra­tion de choré­graphes parti­cu­liè­re­ment foison­nante peut appor­ter au ballet. Que ce soit par exemple Maud Le Planec, Imre Van Opstal, Sharon Eyal et la choré­gra­phie israé­lienne. Mais il faut d’abord recons­truire.”


Le ballet de l’Opéra de Lyon ouvre la Bien­nale de la danse avec Myce­lium de Chris­tos Papa­do­pou­los. Du samedi 9 au jeudi 14 septembre à 20h à l’Opéra de Lyon, Lyon 1er. De 5 à 32 €.

Portrait de Cédric Andrieux. (photo Ph. Lebru­man)