Toute la beauté du monde 

Fantas­tique. Cerbère en 1939, une petite ville à la fron­tière entre la France et l’Es­pagne. La défaite se profile pour les forces répu­bli­caines espa­gnoles. Une trans­bor­deuse d’orange, un peintre, un cuisi­nier et un philo­sophe se retrouvent dans un hôtel énig­ma­tique où le fantas­tique va venir faire son appa­ri­tion. Plutôt habi­tué aux docu­men­taires, Thomas Azué­los s’aven­ture cette fois du côté de la fable. Une tragi-comé­die subli­mée par les tons mono­chro­ma­tiques froids de l’aqua­relle et la puis­sance des person­nages. 

Toute la beauté du monde de Thomas Azué­los. Futu­ro­po­lis. 184 pages. 25 €.

La grande histoire de la Révo­lu­tion II

Fresque histo­rique. On l’at­ten­dait et on n’est pas déçu. Lauréats du Fauve d’Or à Angou­lême en 2020 pour le premier tome, Florent Groua­zel et Younn Locard confirment avec ce second opus qu’ils tiennent là l’une des plus impor­tantes fresques histo­riques en bande dessi­née de ces dernières années. L’his­toire reprend en 1791 dans un Paris para­noïaque face aux bruits sourds des complots. On retrouve ce qui a fait la richesse du précé­dent tome. La Révo­lu­tion est vue à travers les yeux des gens ordi­naires : filles du peuple, noble breton et comé­dien-bret­teur. Ça tour­billonne de vie et les doubles-pages nous plongent dans un Paris en pleine effer­ves­cence. Magni­fique et très bien docu­menté. 

Révo­lu­tion II, égalité. Livre 1. Florent Groua­zel et Younn Locard – Actes Sud / L’an 2. 300 p. 24,90 € 

Socrate au barbe­cue

Philo­so­phie révi­sée. C’est le gros succès de ce début d’an­née. Dans sa dernière bande dessi­née, Cathe­rine Meurisse passe les « beaux morceaux » de la philo­so­phie française sur le grill : l’épi­la­tion pour Descartes, Deleuze chez l’oph­talmo ou encore la mère de Saint-Augus­tin en gérante d’un club liber­tin. L’au­trice de La Légè­reté, membre de l’Aca­dé­mie française depuis 2020, vulga­rise leur pensée dans de courtes seynettes absurdes et cocasses. Loin d’être gratuite, cette déri­sion permet à Cathe­rine Meurisse de s’at­taquer au machisme de nos grands penseurs. Une revanche jubi­la­toire et rafraî­chis­sante.

Humaine, trop humaine de Cathe­rine Meurisse. Dargaud, 96 p. 22 €.

Luz croque Despentes

BD rock. Il aura fallu quatre années à Luz pour venir à bout de son adap­ta­tion de Vernon Subu­tex. Le dessi­na­teur vient de sortir son deuxième et dernier tome de son adap­ta­tion du best-seller de Virgi­nie Despentes (autre­ment meilleur que son dernier livre, Cher Connard…). Après un premier tome un peu trop fidèle au roman, Luz se réin­vente et livre ici un album plus person­nel et opti­miste. L’ex-Char­lie dresse le portrait d’un homme, Vernon, qui tente de retrou­ver goût à la vie après un trau­ma­tisme. Nul doute que l’an­cien dessi­na­teur de presse y a glissé une part de lui-même et de son combat depuis 7 ans. Les pages sont surchar­gées en tout : couleurs, person­nages, textes et méta­phores musi­cales. Ça grouille, c’est vivant, on se croi­rait à un concert punk. 

Vernon Subu­tex, seconde partie de Luz et Virgi­nie Despentes (Albin Michel, 360 p, 34,90 €).

L’homme et la bête

Récit graphique. Et main­te­nant c’est qui le lion ? Le lion c’est Hector Bibrowski, « monstre de foire » né avec des poils recou­vrant son visage. À l’aube du XXe siècle, il fait la tour­née des villes euro­péennes avec d’autres « freaks » comme lui, des femmes-troncs, hommes sque­let­tiques, nains et autres siamois. Dans l’uni­vers du cirque, ce sont de véri­tables stars, à la fois adulées et craintes, mais l’in­ven­tion du cinéma menace ce mode de vie. Volon­tiers plus proche du roman graphique que de la bande dessi­née (voir photo du haut), on suit « l’homme à la tête de lion » à travers un récit touchant et magni­fique. Les contours sont flous, les mouve­ments irré­gu­liers, comme un lion en cage qui échappe à la vue du visi­teur.

L’homme à tête de lion de Xavier Coste (Sarba­cane, 208 p. 29 €).

Invi­ta­tion au voyage

Bestiaire. Cette fois-ci ce sont les animaux qui ressemblent à des humains. Une petite rainette décide d’ac­com­pa­gner deux crapauds vaga­bonds vers le sud. Ces derniers ont capturé le fantôme d’une fleur de Shun­giku (la fleur de ceri­sier en japo­nais). L’es­prit souhaite rejoindre les tropiques comme les deux crapauds. En chemin, la rainette rencontre des chiens, des arbres, et plein d’autres vivants fasci­nants. Le batra­cien expé­ri­mente tout pour la première fois. Inspiré par la gravure et les estampes japo­naises, ce road-trip est une invi­ta­tion au voyage et à la médi­ta­tion. 

Une rainette en automne de Linnea Serte (éditions de la Cerise. 336 p. 24 €).