27 août 1934. Cinquante-six enfants de la colonie de Belle-Île-en-Mer s’évadent. Les fuyards sont cernés par la mer et les gendarmes offrent une pièce de 20 francs pour chaque enfant capturé. Les braves gens se mettent en chasse, dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés. Tous  ? Non  : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel. À partir d’un fait réel, Sorj Chalandon déploie son talent de conteur pour raconter la métamorphose d’un jeune homme en colère.

D’où vous est venue cette idée de raconter cette histoire ?

Je suis un enfant battu. J’ai écrit trois livres sur ce sujet. Quand j’étais enfant, à Lyon, mon père me faisait vivre la menace de me placer en maison de correction. Il me parlait de la colonie de Belle-Île-en-Mer. Et puis je me suis enfui à Paris. Journaliste à Paris en 1977, j’apprends via une dépêche AFP que la maison de correction venait de fermer. J’étais sidéré d’apprendre qu’un endroit aussi violent, créé en 1848, était encore actif. Je voulais en faire un article, mais je n’ai pas pu. Ce n’est que récemment que le souvenir de la menace du bagne m’est revenu en tête.

Votre héros, Jules Bonneau, est un personnage en colère. Est-ce que cette colère était aussi la vôtre ?

Comme Jules, j’ai vécu la brimade. À cause des coups, j’étais bègue. C’est un handicap dont les gens se sentent le droit de rire. Quand vous êtes bègue, la solution, c’est de frapper. Les rires cessent. Pour mon personnage, je voulais une petite teigne. Quand vous n’avez pas la parole, il n’y a pas d’autres moyens pour s’exprimer. J’ai offert à ce personnage ma rage d’enfant. Mais cette haine, il a fallu que je l’éteigne. De la même manière, cette colère, c’est seulement un quart du roman. Le reste, c’est la métamorphose du personnage.

Comment avez-vous travaillé pour reconstituer l’atmosphère de l’époque et celle de la colonie ?

Les historiens sont vraiment très clairs sur le sujet. Tout ça existe et je n’ai pas cherché bien loin. Je me suis plongé dans la presse de l’époque. C’est là que j’ai découvert qu’il manquait le numéro 56. Ma peur, c’était que les gens qui pouvaient me lire à Belle-Île me disent que j’avais fait des erreurs. Qu’on vienne me dire que je m’étais trompé sur la manière de décrire la pêche à la sardine dans le port de Sauzon en 34. Il faut avoir toute la vérité historique.

Comment avez-vous travaillé sur le côté fictionnel ?

À partir de ce moment-là, le travail de l’écrivain pouvait commencer. Une nuit d’orage, j’ai marché le long du chemin côtier pour voir si la mer passait par-dessus. J’ai aussi acheté une pièce de vingt francs de l’époque. Je voulais la tenir dans la main, sentir son poids. C’était la prime qu’on donnait aux braves gens pour la capture des gamins. Si je voulais devenir Jules, il me fallait ressentir les choses.

L’Enragé, de Sorj Chalandon aux éditions Grasset. 416 pages. 22,50 €.