Une débauche de moyens pour filmer la débauche de Holly­wood et de ses coulisses sordides. Voilà à quoi ressemble Baby­lon la majo­rité du temps, et dans son prologue de 30 minutes jusqu’au titre : chiasse d’élé­phant, pisse de jeune femme sur « gros lard » au bordel, chan­son asiat » sur « la chatte de mon amie« , et plus tard vomi-dégueu­lis sur l’as­sis­tance, bien­ve­nue dans le Holly­wood des années 20, aussi muet et élégant à l’écran que criard et vulgaire en coulisses.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en plus de faire trois le tour de chaque pièce et de chaque couloir pour être sûr de faire encore plus circu­ler sa caméra que Martin Scor­sese dans Casino, Damien Chazelle ne fait pas dans la litote clas­sieuse quand il s’agit d’écor­ner le mythe… Stupre, drogue, bois­son, riva­li­tés d’ar­rière-cour, comme une sorte de Nico­las Bedos exilé à LA, il passe beau­coup trop de temps à filmer des gens détes­tables qui rêvent à de grandes choses. Il en fait trop, jusqu’au « trou du cul de Los Angeles » à la presque toute fin du film, avec l’ap­pa­ri­tion assez pathé­tique de Tobey Maguire en freak avec son croco­dile (il ne fera que passer, mais visi­ble­ment Chazelle n’aime pas couper au monta­ge…).

Une orgie de Babylon avec Margot Robbie.
Une des multiples séquences d’or­gies avec Margot Robbie.

Baby­lon et ses superbes séquences d’hom­mage au cinéma

Il y a du monde qui tour­noie partout tout le temps, mais c’est partout quand il quitte ses deux person­nages prin­ci­paux assez falots que Baby­lon rede­vient beau. L’hom­mage au cinéma muet sur fond rouge est splen­dide, toute comme l’évo­ca­tion du racisme en obli­geant un trom­pet­tiste de génie à se grimer pour être encore plus noir sous la lumière, ou la recons­ti­tu­tion de la première version de Singin’ in the rain qu’on retrou­vera en fin de film.

Son hommage au cinéma est sincère (Chazelle pour­rait d’ailleurs faire un jour un prix Lumière), tout comme au grand acteur qu’est Brad Pitt, oscil­lant à merveille entre cabo­ti­nage italien, auto­dé­ri­sion et crépus­cule d’un acteur revenu de tout voyant venir sa fin avec l’avè­ne­ment du cinéma parlant. Dans une forme de quasi auto-portrait, il y défend sans illu­sions l’art popu­laire du cinéma contre la noblesse des comé­diens d’art drama­tique, en restant amou­reux de la vieille Europe. Jusqu’à un plan séquence de toute beauté remon­tant les esca­liers avec lui pour sa dernière appa­ri­tion.

Brad Pitt cigarette et lunettes noires dans Babylon.
Brad Pitt en Jack Conrad, le grand rôle de Baby­lon.

Un grand rôle pour Brad Pitt… mais pas pour les autres

Dommage alors que les deux person­nages prin­ci­paux ne soient pas à sa hauteur, incar­nés par deux acteurs trop falots pour l’am­bi­tion du film, Margot Robbie et Diego Calva, pris in fine dans les filets d’une histoire d’amour factice. Dans son évoca­tion du cinéma, mais aussi du théâtre (Ibsen), de la musique (Scria­bine ou Rach­ma­ni­nov) ou de la critique (extra­or­di­naire Jean Smart en face-à-face avec Brad), ce Baby­lon est bourré de talent.

Jusqu’à la dernière séquence avec Gene Kelly, mais dans laquelle une fois encore Chazelle en fait trop : après un plan sublime de son héros soli­taire parmi les autres spec­ta­teurs dans un cinéma, comme pour embras­ser toute l’his­toire du septième art, il ne peut pas s’em­pê­cher de se lancer dans un dernier kaléi­do­scope assez moche (comme malheu­reu­se­ment l’image du film en géné­ral), digne d’un Claude Lelouch atlan­tique.

C’est tout le problème de ce Baby­lon : conte­nir suffi­sam­ment de merveilleux moments de cinéma pour ne pas voir passer ses 3 heures, mais accu­mu­ler trop de débauches inutiles pour vrai­ment les remplir de façon oppor­tune avec ce qu’il avait à dire. A vous d’éva­luer votre niveau de patience, en fonc­tion de votre amour du ciné­ma… et de celui de Damien Chazelle.

Baby­lon de Damien Chazelle (E.-U., 3h09) avec Diego Calva, Margot Robbie, Brad Pitt, Li Jun Li, Jovan Adepo, Jean Smart, Tobey Magui­re… Sortie le 18 janvier.

Damien Chazelle sous le ciel et le tournage de Babylon.
Damien Chazelle sur le tour­nage de Baby­lon.