De l’eau s’écoule du bois d’un piano posé là dans un champ, comme un robi­net surréa­liste. On croi­rait décou­vrir une toile inédite de Dalí. On retrouve tout ce qu’il fait le cinéma de Quen­tin Dupieux dès qu’Anaïs Demous­tier entre en scène. En jour­na­liste de fortune, elle se prépare à inter­vie­wer la grande star de son temps dans sa chambre d’hô­tel, alors que Yannick Noah est en train de faire un match « sublime » à Roland Garros.

Tout Quen­tin Dupieux est bien là : l’art du détour­ne­ment en coulisses et de la comé­die artis­tique en forme de récits enchâs­sés. L’en­trée d’Edouard Baer en Dalí le temps d’une traver­sée sans fin du couloir de l’hô­tel est déjà un sketch irré­sis­tible. L’in­ter­view sera sans cesse repous­sée au gré de diffé­rents prétextes, Dalí prenant le visage de six comé­diens diffé­rents, d’où les six « a » du titre…

Edouard Baer, le plus Dalí des Dalí.

Daaaaaali, frian­dise surréa­liste

Dupieux s’amuse avec l’image d’un Dalí lui-même préoc­cupé par son image, tout en rendant hommage à son esprit facé­tieux et son imagi­na­tion visuelle débor­dante. Le moment le plus émou­vant sera l’évo­ca­tion de sa vieillesse, appel à « déchif­frer son âge réel comme celui des arbres« . Le thème était déjà au coeur de son très beau Fumer fait tous­ser.

Dupieux mineur, Daaaaaali ! se veut avant tout un jeu avec la conta­mi­na­tion des images, oppo­sant les pouvoirs de l’ima­gi­na­tion au narcis­sisme du paraître. L’au­to­dé­ri­sion n’est jamais loin : « Tu crois que ça va inté­res­ser les gens ta petite histoire ? » lâche Romain Duris en produc­teur épatant, le temps d’un clin d’oeil à Raymond Depar­don.

Jona­than Cohen et Anaïs Demous­tier se battent pour la fin.

Six Dalí pour une grande Anaïs Demous­tier

La petite histoire, c’est celle de Justine alias Anaïs Demous­tier se sentant « nulle » et jamais à sa place, irré­sis­tible quand il s’agit de jouer le syndrome de l’im­pos­teur. Sa spon­ta­néité fait merveille, comme ses yeux mali­cieux et son sourire entendu. Elle envoie valser à chaque plan ce que le film aurait pu avoir d’un peu trop replié sur lui-même. « Je trouve anor­mal qu’un film sur Dalí se termine sur une femme qui n’est pas Dalí », se plain­dra Jona­than Cohen, un des six avatars du peintre.

Pas nous : ils ont beau être six à jouer Dalí, on ne voit qu’elle, récep­tacle de toutes les approches du person­nage. Daaaaaalí ! se gobe comme les bouchées surréa­listes qu’a­valent ses prota­go­nistes le temps d’un repas. On n’est pas repu, mais c’est déli­cieux. Une frian­dise ciné­ma­to­gra­phique comme seul sait en concoc­ter Quen­tin Dupieux. Avec, cerise sur la gâteau, l’ac­trice française la plus passion­nante d’aujourd’­hui.

Daaaaaali ! de Quen­tin Dupieux (Fr, 1h17) avec Anaïs Demous­tier, Edouard Baer, Jona­than Cohen, Pio MarmaÏ, Gilles Lellouche, Didier Flamand, Marc Fraize, Jérôme Niel… Sortie le 7 février.