Votre film Kaamelott ne ressemble à rien de connu dans le cinéma français : un croisement original entre comédie populaire, film d’auteur et saga avec une grande ambition esthétique, pour l’image comme pour la musique…

Alexandre Astier : “Au fond des choses, je ne vois pas ce qui interdirait d’aller chercher tout ça ! La comédie, c’est LE genre populaire, je suis complètement d’accord ! Mais donc, il faut qu’il y ait tout dedans ! Ce n’est pas parce qu’il s’agit d’une comédie, qu’il ne devrait ne jaais y avoir de tragique, ni de gens qui meurent par exemple… Il flotte des règles autour de la comédie qui à mon avis nous desservent fortement. On étrangle la comédie avec la promesse de faire rire, mais rire, ce n’est pas une injonction ! Vous ne dites pas aux gens : “je vais vous faire rire” ! C’est très prétentieux, déjà, et ça ne marche pas sur commande…

Je ne suis pas non plus dans la fresque ou dans l’épopée comme on a l’habitude de la faire. En tout cas, l’absurde est pris au sérieux, l’histoire est prise au sérieux, la musique est prise au sérieux, la geste arthurienne est prise au sérieux, et les conneries sont prises au sérieux aussi ! (rires)

Le sang du Lyonnais Loïc Varraut en Venec dans KV1.

Avec cet art de la réplique d’acteur qui est peut-être un gène familial…

Je ne peux pas imaginer une réplique qui ne serve qu’à informer ! C’est lié au souvenir de mes parents acteurs parlant de choses qu’ils avaient dû faire et qui étaient mal dialoguées… Michel Audiard l’a dit depuis longtemps : ce qui compte, c’est que ça sonne ! Mais plus ce que vous construisez autour de l’acteur est puissant, solide, et plus ça fonctionne.

Par exemple, j’emmène Cornillac et ses deux sbires autour d’un feu de camp dans le désert d’Oman… On pourrait faire ça autrement, et de façon moins chère. On pourrait même tourner la même scène autour d’une table et deux chaises. Mais quand ils arrivent là-bas, tout joue avec eux : ce qui les a menés là, les 7h d’avion, le 4/4 pendant je ne sais pas combien de temps pour arriver sur le site, cette chose très particulière qu’est le désert, la chaleur, la nuit qui tombe… On sent la saga, même si on n’a plus à s’en occuper, et ça nourrit incroyablement le jeu de l’acteur. Et clac ! On balance une discussion de petites choses. Tourner dans des endroits comme ça qui respirent naturellement la saga épique, ça donne du souffle à nos petits trucs.

Acteurs, répliques et banquet : la recette de Kaamelott.

Question chauvine : vous avez aussi tourné en Auvergne, vous y trouvez aussi un souffle particulier ?

Il y a un lieu qui depuis mon enfance me fascine et je me suis toujours débrouillé pour y tourner plus ou moins, c’est le mont Mézenc, qui est voisin du Mont Gerbier des Joncs, la source de la Loire, avec les Estables, où se trouve le rocher Excalibur. C’est un pays qui a une nature qui n’est pas très douce ni très accueillante, mais très belle. C’est un pays dur, austère, mais on peut tomber sur des coulées de rochers basaltiques au milieu d’une montagne.

C’est une nature raide, très granitique, avec des couleurs métalliques, vertes, denses, c’est immédiatement cinématographique. C’est un personnage un peu intimidant, ce pays-là. Il se passe aussi d’autres choses quand on va vers le Cantal par exemple. Un peu partout où vous posiez votre pied de caméra ou votre travelling, il se passe un truc dans ces endroits-là, comme dans le désert. ça participe du film, ils ne sont pas n’importe où les mecs, on sent bien que c’est chiant d’y marcher, de voyager, d’y dormir, vous y ajoutez quelques loups dans l’espace sonore et ça ne rigole pas. J’ai besoin de ça comme les acteurs ont besoin de ça !

« Pour KV2, il sera question de quêtes, avec un ‘s’, dans une multiplicité de lieux d’aventure. »

(alexandre astier)

Le film baigne en revanche dans un cadre très lumineux, peut-être aussi dans son rapport à la jeunesse…

Oui, il y a un rapport avec la jeunesse. Le chef opérateur Jean-Marie Dreujou, est l’autre grand artisan du film. Il a travaillé avec Jean-Jacques Annaud pour ses plus grandes fresques, je suis un petit joueur à côté ! Le film nous emmène au soleil, j’y tenais pour la jeunesse d’Arthur lorsqu’on dit qu’il a fait la légion en Afrique. Il y a quelque chose effectivement d’assez nostalgique là-dedans, a fortiori pour les flashbacks. Je dis toujours à mes équipes que dans un flashback, on ne filme pas ce qu’il s’est passé, mais un souvenir, avec tout ce que ça comporte de flou ou d’idéalisation.

On raconte ce qui a marqué le personnage, pas nécessairement ce qu’il s’est passé. Et comme Jean-Marie et moi, on est un peu fous du matos, on a fait plein d’essais, et on a pris pour ce film une belle caméra 70mm numérique pour garder ce format large du conte, avec des profondeurs de champ inégalées. On ne l’a jamais lâché, même pour aller dans le désert, même si ce n’était pas toujours facile (rires). Mais on a trouvé notre petite grammaire comme ça pour ce film, notre petite poésie… Ce n’est pas du Technicolor, mais elle correspond à cette volonté de ne pas être réel. C’est ce qui donne cette petite griffe, cette signature qui encourage l’éloignement de notre concret.

Vous allez la garder pour les deux épisodes suivants ?

Il y aura peut-être mieux ! Ils sont peut-être en train d’en fabriquer sans que je le sache !

Vous avez trois idées de départ pour la trilogie, quelles sont-elles ?

C’est un peu compliqué de vous le dire, mais je sais que dans le prochain film, s’il a lieu, il sera question de “quêtes” avec un “s”. Je ne l’ai pas écrit, mais il devrait y avoir une multiplicité de lieux d’aventures. Donc je suis à peu près persuadé que je vais encore user ma région ! J’aime beaucoup le Vercors, et je n’y suis pas encore aller pour ce film-là. Il porte sa propre violence et il recèle des paysages cinématographiques qui n’ont absolument rien à envier à la Nouvelle-Zélande de Peter Jackson. On est vraiment sur la lune là-bas, c’est incroyable, et si on choisit un peu son heure, c’est encore pis ! Même si c’est un peu dur d’accès… ça reste un choix de production. Mais tant qu’on n’est pas obligé d’être héliporté, j’ai quand même envie d’aller fouiller dans ces coins-là. Je n’ai pas fini d’user ma région !

Alexandre Astier pendant l’entretien à Paris (photos Susie Waroude).

Vous avez déjà pensé au troisième ?

Je ne peux pas encore vous en parler, mais il faut quand même que je garde un vecteur, pour que les bateaux aillent vers le bon continent… En revanche, je me force à ne pas commencer pour rester dans la spontanéité de l’écriture. J’ai à peine commencé à ouvrir un dossier dans mon téléphone qui porte le nom “KV2”. Les idées, c’est plutôt une jungle, on n’est jamais en pénurie d’idées, on est plutôt en surplus. Le but du jeu, c’est d’avoir une machette pour se frayer un petit chemin. C’est un peu ça que je suis en train de faire, mais j’essaie d’en garder pour après, pour que ça ait la couleur de ce que je fais au moment où je le fais.

Vous signez aussi la musique du film qui est véritable symphonie de la première à la dernière image. Vous aviez tout composé avant de tourner ?

On est au cinéma ! Elle est un personnage à part entière, c’est vrai. On a même tourné certains morceaux avec le tempo sur le plateau, pour les répliques, donc là j’étais vraiment obligé d’anticiper. Sinon  j’ai beaucoup fait d’allers-retours au moment du montage, le temps d’aller enregistrer avec l’Orchestre National de Lyon, qui n’a pas enregistré sur l’image… c’est une grande série d’allers-retours.

Vous aviez donc en tête l’ensemble comme un musicien ?

Oui, chez les compositeurs de cinéma, j’aime bien quand la musique tient un rôle d’annonciateur, quand elle évoque plus ce qui risque d’arriver que ce qui arrive, quand elle illustre moins qu’elle ne met en garde. J’en ai besoin : elle raconte quelque chose qu’elle est la seule à raconter, donc il faut qu’elle soit là, d’où mes nombreux allers-retours !

Vous êtes plutôt du genre à vous enfermer pour écrire ou vous resté ouvert à tout ce qui se produit ?

Il y a deux choses différentes : il y a le travail de structure, que j’aime beaucoup, mais qui ne concerne pas les acteurs. C’est de l’ingénierie, très créative, c’est plutôt l’amour du schéma, graphique par exemple. Une fois que ce tapis est fait, il y a une sensualité à amener et c’est souvent le comédien qui me dit qui il va être, pas l’inverse. On croit souvent qu’on a une imagination profusionnelle, je crois en réalité qu’elle est très réduite, on a des barrières invisibles tout le temps.

La tendresse pour les acteurs, les caractères, les imprévus, c’est ce qui permet de faire sauter ces barrières. Moi, je les chasse ces trucs-là pour en avoir le plus possible ! J’en ai fini avec le fantasme artistique de s’isoler pour écrire. Et je ne parle pas des gens qui se font payer des hôtels à l’autre bout du monde parce qu’ils sont tellement à la bourre qu’il faut les protéger de tout ! (rires) ça fait très longtemps que j’ai compris qu’il faut que je me fasse emmerder au moment d’écrire.

Il faut que je vive dans ce bordel-là, parce que je tiens à ce que j’écris soit volé, je tiens à ce que l’écriture reste dans la vie. et ça tombe bien, j’ai une grande famille pour ça. J’écris des trucs de comédie, il faut que la vie résonne ! J’ai toujours gardé en tête Mario Puzo qu’on avait voulu enfermer dans un immeuble pour écrire le Parrain et qui ne savait pas quoi faire à force d’être isolé. Il avait besoin de retrouver la vie et sa famille, surtout pour écrire un film comme Le Parrain !

Et avez-vous encore besoin du théâtre ?

J’ai été élevé en sachant qu’en tant que comédien que c’est au théâtre qu’on progresse. C’est très difficile de progresser au cinéma. On fait tout en petits bouts et dans le désordre. Il n’y a pas vraiment de risque. J’ai bien conscience que c’est au théâtre que ça se passe pour un comédien, mais je ne suis pas doué pour refaire. C’est très difficile pour moi, une fois que la première est passée… Mais je ne pense pas qu’on puisse sérieusement se passer d’être sur scène dans ma position donc je ne sais pas comment, mais il faudra que je m’y attèle.

Il y a de nouveaux jeunes acteurs dans le film. Comment les repérez-vous ?

Je ne sors pas beaucoup, je regarde les films, mais ma mère a une école d’acteurs donc ça aide (l’Acting Studio à Lyon, ndlr). De temps en temps, je vais voir ce qu’il se passe. Il m’arrive de faire des essais, mais je ne fais pas de casting. On passe une journée ensemble, on essaie des bouts de texte. J’ai dans ma petite collection personnelle des essais avec des gens dont je sais qu’un jour je vais les appeler même si aujourd’hui je ne sais pas encore pourquoi. Ils font partie de mon petit panoramique de voix. C’est plutôt au son que j’aime les acteurs…

Ça vous est arrivé sur le film ?

Oui, j’ai eu besoin d’un second pour le capitaine du bateau marchand au début du film. C’est un type qui m’avait chopé à Avignon en me disant de venir voir son Scapin à 22h (Antoine Bordes, ndlr)… Par hasard, je l’avais croisé trois fois dans la même journée, au début je me suis dit : “j’ai pas de bol” ! Puis je suis allé voir ce Scapin qui s’est trouvé être très bien, par des jeunes gens avec beaucoup de modernité, pas enfiché dans la poussière… J’avais gardé son numéro, j’étais à Oman, je n’avais personne et j’avais besoin d’un second. On l’a appelé, il a pris l’avion et s’est pointé à Oman pour jouer dans Kaamelott ! (rires) C’est hyper agréable de pouvoir faire jouer de jeunes acteurs face à Cornillac ou Gallienne ! Ils viennent, ils ont un peu les jetons mais ils sont prêts, ils donnent tout, et même si on doit parfois resserrer un peu les boulons, j’adore ça !”

Propos recueillis par Luc Hernandez à Paris le 30 juin dernier

Photos : Susie Waroude.

Kaamelott, premier volet d’Alexandre Astier (Fr, 2h). Sortie nationale mercredi 21 juillet. Avant-premières mardi 20 juillet en soirée.