Nos restaurants historiques entretiennent une image de lieu clos, à base de lutte contre la diététique et de remède à l’hiver. Pour autant, on ne voit pas pourquoi l’été devrait être contingenté à la tomate mozzarella. Abel, restaurant vénérable de cuisine bourgeoise et lyonnaise sert sa fameuse quenelle de type Zeppelin sous stéroïdes en terrasse. Des pays plus cagnardisés servent bien du couscous ou de la paella.

Chez Abel, le bouchon même l’été en terrasse

La terrasse du bistrot Abel, petit frère jumeau de la maison mère.

Si les tables donnent sur une rue calme, il faut tout de même avoir vu l’intérieur, de ce qui est peut-être le plus ancien restaurant de Lyon, en rentrant par la porte cloutée intitulée « entrée des garçons-livreurs ». On dit même que Richelieu (1585-1642) et Mazarin (1602-1661) s’y sont rencontrés… Certainement pas en 1730 comme l’écrivait le guide Lyon gourmand, du fait que les protagonistes étaient plus que décédés…

La rencontre cachée Mazarin / Richelieu chez Abel

Ils n’y ont probablement pas mangé comme nous des rognons de veau sauce madère, dans la mesure où la notion de restaurant est officiellement née en 1765. La légende, construction d’historien de comptoir ou réalité historique, ajoute une patine romantique à un cadre qui a servi, usé au sol par des siècles de passage. Les poutres dignes d’un roman d’Alexandre Dumas tiennent toujours. Bertrand Tavernier y a tourné deux de ses plus beaux films, L’Horloger de Saint-Paul et Une semaine de vacances. Avant, on savait faire solide. On savait aussi manger solide.

Chez Abel, la cuisine en sauce revisitée

Le chef David Mizoule. (photo d’illustration Olivier Chassignole)

La sauce madère profonde, enveloppante, rappelle que la cuisine bourgeoise française procède des sauces. Enfin… l’ancienne.. Aujourd’hui, les bourgeois roulent en Tesla. Impossible de ne pas passer, en entrée, par le fond d’artichaut au foie gras, un mystère de la cuisine locale, dans la mesure où nous ne sommes ni une région à artichauts ni une région à canards. La mère Fillioux (1865-1925), sa créatrice, poêlait son foie gras.

Ici, nous avons la version terrine, froid sur froid, façon mère Brazier qui, elle, assaisonnait plus intensément d’une bonne vinaigrette. L’alternative nue, fond d’artichaut haricots verts, est une agréable exception végétale dans la carte, mais autant ne pas se priver du foie gras maison, qui est réussi, large, bien marbré.

Tête de veau sauce gribiche, poule au riz sauce suprême (qui garde bien le goût du bouillon), ris de veau au morilles, tripes à la tomate, saucisson chaud ne s’attardent pas dans le potager. Les accompagnements restent dans le rituel du riz pilaf, de la lentille, de la pomme de terre vapeur ou sautée, même si le chef David Mizoule s’est permis la hardiesse iconoclaste de carottes et choux fleurs en pickles colorés. Cette cuisine riche de bouchon – confortable, moelleuse, crémeuse – a fait ses trimestres, mais elle est loin de rentrer dans une maison de retraite. C’est ce que démontre ce bon bistrot bourgeois à l’accent lyonnais.

Café comptoir Chez Abel. 25 rue Guynemer, Lyon 2e. 04 78 37 46 18. Ouvert tous les jours. Entrées entre 15 et 21 euros. Plats autour de 24 euros. Quenelle de brochet : 28 euros. Ris de veau aux morilles à la crème, riz pilaf : 40 euros. Fondant à la crème de marron : 10 euros. Verre de côte du rhône (pas mal du tout) : 5 euros.
Le Bistrot d’Abel, petit frère de la maison mère. 49 rue de la Bourse, Lyon 2e.

Photos d’illustration : Olivier Chassignole.