Quel a été le point de départ du film ?

Thomas Cailley : Après avoir exploré les thèmes de l’éter­nité et de la mort dans la série Ad vitam pour Arte, j’ai ressenti le besoin d’abor­der un projet qui mette en lumière la diver­sité de la vie et du vivant. C’est à ce moment-là que j’ai rencon­tré Pauline Munier, une étudiante en scéna­rio de mon ancienne école de cinéma.

Elle avait écrit une première version d’un scéna­rio où certains person­nages avaient des carac­té­ris­tiques animales. L’his­toire était diffé­rente mais l’idée d’hy­bri­dité m’a immé­dia­te­ment intri­gué. De mon coté, j’ai voulu ancrer le récit dans un contexte très spéci­fique, avec des éléments terri­to­riaux et socio­lo­giques, et surtout, dans la France d’aujourd’­hui.

En parlant de terri­toire, pourquoi le Sud Ouest ?

C’est là d’où je viens. J’ai grandi à proxi­mité de Bordeaux. J’y suis arrivé à l’âge de 10 ans et je pense avoir eu la chance de décou­vrir cette région avec l’ima­gi­naire propre à un enfant. J’ai un souve­nir très net de moi, assis à l’ar­rière de la voiture de mes parents, qui regarde ce ciel infini et ces forêts immenses. Tout de suite, ce sont deve­nus des terri­toires de fiction. C’est égale­ment là que j’ai réalisé mon premier film Les Combat­tants.

Le Règne Animal; le nouveau film de Thomas Cailley avec Romain Duris, Paul Kircher et Adèle Exarchopoulos

À travers le prisme des créa­tures, vous abor­dez des problé­ma­tiques poli­tiques, écolo­giques et sociales. Comment gérez vous l’équi­libre entre le genre fantas­tique et ces théma­tiques plus concrètes dans votre écri­ture ?

Le genre a souvent été un moyen d’ex­plo­rer des ques­tions poli­tiques et sociales. C’est même une approche qui rend les récits peut-être plus puis­sants et univer­sels. Pour Le Règne Animal on a tenté d’uti­li­ser cette idée de muta­tion pour explo­rer des thèmes tels que l’ini­tia­tion, l’éman­ci­pa­tion. La dyna­mique entre Emile et son père, nous a égale­ment permis d’abor­der la trans­mis­sion, la paren­ta­lité et la filia­tion.

Qu’est-ce que cela signi­fie d’hé­ri­ter d’un monde, de léguer un monde, de le réin­ven­ter ? Au-delà de ces deux person­nages, il est aussi ques­tion de se posi­tion­ner mora­le­ment dans un monde en muta­tion, où des instincts sécu­ri­taires émergent, où des pulsions de rejet et de haine se mani­festent. Comment abor­der la ques­tion fonda­men­tale de la diffé­rence, de l’in­té­gra­tion, du rejet, et comment montrer du respect envers chaque forme de vie qui nous entoure.

Pourquoi ce choix de muta­tion pour Emile ?

Au départ on voulait abso­lu­ment explo­rer toutes les strates de la clas­si­fi­ca­tion des espèces avec des créa­tures bien précises. Puis fina­le­ment on a préféré avan­cer pas à pas avec les acteurs, en essayer de comprendre dans quelle direc­tion leurs person­nages pour­raient évoluer. A l’ori­gine, le person­nage de Fix était écrit comme un héron cendré, mais vu l’éner­gie puis­sante de Tom Mercier, on a évolué vers un rapace. Pour Emile, j’ai cher­ché une muta­tion proche de celle de sa mère.

Le Règne Animal; le nouveau film de Thomas Cailley avec Romain Duris, Paul Kircher et Adèle Exarchopoulos

« Romain (Duris) est à l’ori­gine de ma ciné­phi­lie. C’est un acteur que je suis depuis le début. Paul Kircher avait pour moi la même éner­gie que lui. »

THOMAS CAILLEY

On pour­rait aussi parler d’hy­bri­da­tion dans le casting avec la présence d’ac­teurs popu­laires, Romain Duris et Adèle Exar­cho­pou­los, mais aussi des jeunes acteurs moins média­tisé comme Paul Kircher et Tom Mercier. C’était impor­tant pour vous d’at­teindre cet équi­libre et cette diver­sité dans la distri­bu­tion ?

Pour être honnête, on a abordé cela de la manière la plus natu­relle et instinc­tive possible. On a commencé par le person­nage central, qui est Émile. On a donc exploré toutes les possi­bi­li­tés, mené des castings ouverts, publié des annonces. Ma rencontre avec Paul Kircher a été boule­ver­sante et j’ai vrai­ment été impres­sionné par son audi­tion.

Ensuite je me suis demandé qui pour­rait jouer son père et j’ai remarqué une certaine ressem­blance physique avec Romain Duris. C’est pour ça que je lui ai proposé le rôle de François. Romain est à l’ori­gine de ma ciné­phi­lie française, c’est un acteur que je suis depuis le début et j’était hyper heureux de le rencon­trer. D’ailleurs lors d’un essai Paul a éclaté de rire et j’ai eu l’im­pres­sion de voir Romain dans Le Péril jeune. Il a le même éclat, la même éner­gie incan­des­cente. Et Adèle nous a fait un cadeau. Elle a adoré le scéna­rio, même si elle a été un peu déçue car elle voulait abso­lu­ment jouer une créa­ture.

Le Règne Animal; le nouveau film de Thomas Cailley avec Romain Duris, Paul Kircher et Adèle Exarchopoulos

Avec Les Combat­tants (2014) on vous attri­bué le mérite d’avoir ouvert une voie dans le cinéma français, notam­ment dans le domaine du fantas­tique d’au­teur. Est-ce que cela vous a mis une certaine pres­sion pour réali­ser votre deuxième long métrage ?

J’ai soigneu­se­ment évité de faire des deuxièmes fois pendant un long moment. J’ai réalisé un court métrage, puis mon premier long métrage. Ensuite, j’ai enchaîné avec une publi­cité, un clip, et une série. Après envi­ron neuf ans, je me suis dit : « C’est le moment, il faut y aller« . C’est aussi parce que l’ap­proche d’écri­ture n’est pas tout à fait la même.

Dans une série, on prend géné­ra­le­ment une théma­tique et on déve­loppe des arbo­res­cences. C’est un proces­sus très riche où l’on balance des fils dans tous les sens, on crée des destins de person­nages, on en aban­donne d’autres. A l’in­verse, dans l’écri­ture d’un long métrage on a une sorte de bloc qu’on creuse de manière obses­sion­nelle pour en extraire le cœur. Après Les Combat­tants, j’avais besoin d’une approche plus riche et ludique en écri­ture donc j’ai fait Ad Vitam… et puis j’ai de nouveau eu envie de creu­ser.

Le Règne Animal de Thomas Cailley (Fr, 2h08) avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exar­cho­pou­los, Tom Mercier… Sortie le 4 octobre.