Avec l’aide de la merveilleuse Florence Seyvos à l’adap­ta­tion, voici donc sur scène aidants et aidés, dans un gymnase de centre d’aide comme on en a tous vu des deux côtés de l’At­lan­tique, ne serait-ce qu’a­près les cata­clysmes. Les aidants qui font ce qu’ils peuvent, submer­gés entre la lour­deur bureau­cra­tique et l’ur­gence de demandes pas toujours aimables, voire agres­sives ou… abusives. La complexité humaine et la subti­lité de son incar­na­tion dans une troupe de comé­diennes et comé­diens de haut vol, c’est la première qualité de ce spec­tacle à la fois sobre et auda­cieux.

Marie Payen est excep­tion­nelle en femme sans le sou perdue dans ses propres démarches, tout comme Evelyne Didi en face d’elle. Jusque dans les seconds rôles marquants de Zaka­ryia Gouram (qui termine le spec­tacle) ou du solaire Mexianu Mede­nou, déjà vu chez Tiphaine Raffier, Julie Deliquet nous rappelle que témoi­gnages et réalisme ont toute leur place au théâtre quand ils possèdent une telle force d’in­car­na­tion.

Excep­tion­nelle Marie Payen (avec Salif Cissé et Vincent Garan­ger).

Une troupe d’ac­teurs excep­tion­nelle

Fidèle, en lais­sant intel­li­gem­ment les mots et les lieux améri­cains du docu­men­taire origi­nel, Julie Deliquet crée un effet de miroir poli­tique avec le monde d’aujourd’­hui et notre propre système social qui nous épargne les discours plaqués. Elle réus­sit à faire vivre chaque scène sans pratique­ment de temps mort tout au long des 2h30, avec même quelques trouées d’ab­surde qui peuvent conduire inci­dem­ment jusqu’à l’hu­mour. Tout en montrant le manque criant, la diffi­culté insigne ou la pure impos­si­bi­lité des instances de soli­da­rité de se mettre en place depuis 40 ans, comme un statu quo univer­sel des carences de notre propre huma­nité.

Les rapports sociaux gardent la même nervo­sité et la même finesse d’ob­ser­va­tion que chez Wise­man, notam­ment lors d’un dialogue autour du racisme – là aussi abordé tout en nuances – entre Salif Cissé, le gardien black vigile de tout débor­de­ment et Vincent Garan­ger, grand acteur ici emporté par ses passions tristes de mâle blanc.

Frater­nité retrou­vée

Théâtre de troupe et de plateau mieux écrit et moins tape-à-l’œil que les derniers spec­tacles d’une Caro­line Guiela NGuyen, ce Welfare avec ses inter­mèdes musi­caux se rapproche beau­coup de l’es­thé­tique de Tiago Rodrigues, nouveau patron d’Avi­gnon, et de sa Ceri­saie dans la Cour d’hon­neur, il y a deux ans avec Isabelle Huppert et Adama Diop. Il devrait encore se renfor­cer en se resser­rant de la Cour d’hon­neur vers les plateaux de théâtre intra-muros, comme celui des Céles­tins en janvier. Pour mieux faire vibrer « la force, la patience et la compré­hen­sion » sur lesquelles se referme ce beau spec­tacle de frater­nité retrou­vée.

Welfare par Julie Deliquet d’après le docu­men­taire de Frede­rick Wise­man. Jusqu’au 14 juillet au festi­val d’Avi­gnon puis en tour­née au théâtre des Céles­tins à Lyon, du 24 janvier au 3 février 2024.

Vincent Garan­ger. (photos Chris­tophe Raynaud de Lage)