C’est le premier texte de Koltès que Chéreau n’avait pas osé monter, avant leur colla­bo­ra­tion des années 80 aussi révo­lu­tion­naire, tumul­tueuse, que féconde. Un mono­logue de 1977, que Chéreau aura fini par monter en 2011, pour les débuts de Romain Duris au théâtre.

La langue irré­duc­tible de Koltès

La Nuit juste avant les forêts, c’est d’abord la beauté d’un texte qui parle pour tout conju­rer, la nuit, la mort, la soli­tude, de celui qui ces « cons de français sans imagi­na­tion » prennent pour un étran­ger. Une façon de renver­ser le rapport à la margi­na­lité avec la dernière vita­lité. Il char­rie tout un monde, celui des sans abris, des sans voix, croi­sant encore aujourd’­hui avec une actua­lité encore plus forte la xéno­pho­bie, le chômage volon­taire (« pas travailler pour eux ! ») et la vie de la rue. Il y a une musique Koltès, une langue irré­duc­tible qui cogne contre le monde tel qu’il ne va pas, en s’échap­pant avec la dernière liberté vers le corps ou la sexua­lité, irré­duc­tible

Jean-Chris­tophe Folly, grand acteur habité

Mais la sombre beauté de La Nuit juste avant les forêts, c’est surtout que Koltès n’y confond jamais la rage avec la haine. Jean-Chris­tophe Folly non plus. On pour­rait croire que le texte a été écrit pour lui. Il slame, s’agite et se pavane en tirant sur tout ce qui bouge de sa folie langa­gière, joue la galère et l’ivresse d’une vita­lité drue, lucide, conta­gieuse, sans la moindre cari­ca­ture. Grand acteur, autant habité par l’in­tranquillité de son person­nage que l’in­croyable clarté pour dire sa vérité, tout dans dégaine, ses atti­tudes, ses manies, sonne juste. Jean-Chris­tophe Folly est dans tous ses états avec un natu­rel désar­mant. Que ce soit pour évoquer le « sang des pères« , « les mères inutiles« , les frasques sexuelles, qu’il « lave son zizi » ou qu’il jouisse d’ima­gi­ner ces « français qui ne pensent qu’à bouf­fer » pour ne plus avoir faim.

La nuit juste avant les bas-fonds

Le décor des bas-fonds que la pluie trans­perce aurait pur être celui des voûtes de Perrache de L’Homme blessé de Chéreau. Dans sa rage de vivre, Jean-Chris­tophe Folly a l’aplomb d’un clochard céleste. Après l’avoir vu dans des films aussi origi­naux que Sans Filtre, de Ruben Ostlünd (Palme d’Or 2022), ou son seul en scène Salade, tomate, oignons déjà assez proche du trot­toir, on se dit qu’on tient désor­mais un de nos grands acteurs de théâtre. Il vient de ressus­ci­ter ce soli­loque de Koltès comme un grand clas­sique d’aujourd’­hui, à dispo­si­tion des nouvelles géné­ra­tions. Qui l’ap­plau­dis­saient debout à la fin de la repré­sen­ta­tion. Grand moment.

Photos : Jean-Louis Fernan­dez.