C’est curieux, quand on écoute du Wagner, on a toujours l’im­pres­sion qu’il souffre, écar­telé dans ce Tannhäu­ser de jeunesse – rema­nié mille fois – entre deux femmes : Vénus pour les plai­sirs et l’ex­tase, Elisa­beth pour le senti­ment amou­reux et la vertu. N’es­sayez pas de trou­ver de la subti­lité dans son livret archi-daté (las, il se prenait aussi pour un écri­vain..). On pour­rait presque résu­mer Tannhäu­ser par des pous­sées de fièvre musi­cales qui ne parviennent jamais à jouir : les plai­sirs au premier acte (dans le Vénus­berg, Wagner a toujours eu le génie pour trou­ver des noms ronflants pour faire mine d’in­ven­ter des univers), la péni­tence au deuxième, et le combat entre les deux au troi­siè­me…

Mais comme on est chez Wagner et encore au XIXe siècle (1845), on parle beau­coup plus long­temps de péni­tence et de péché qu’on ne s’ac­corde du plai­sir, et à la fin – atten­tion divul­gâ­chage – c’est évidem­ment la vertu qui gagne (Elisa­beth, extra­or­di­naire Johann van Oostrum, suave comme l’amour, accla­mée comme il se doit).

David Hermann, de Blade Runner à Gladia­tor

Heureu­se­ment le metteur en scène David Hermann a le bon goût de ne jamais prendre un livret aussi senten­cieux au sérieux, tout en travaillant sérieu­se­ment à le mettre en scène. Les somp­tueux décors SF en clin d’oeil à Star Wars, Mad Max ou Blade Runner consti­tuent habi­le­ment le monde virtuel des plai­sirs inat­tei­gnables, tandis que le statisme des chan­teurs (parfai­te­ment diri­gés) et les costumes solaires ouvrent sur un véri­table imagi­naire wagné­rien, viril et médié­val. Insolent d’au­to­rité, Stephen Gould est le parfait rustre wagné­rien face aux aigus perçant de Vénus (Irène Roberts, auda­cieuse et tout en paillettes), tandis que le Wolfram de Chris­toph Pohl pous­sera au troi­sième acte une des plus célèbres mélo­dies du compo­si­teur alle­mand, car il était encore mélo­dis­te…

Le choeur des pèle­rins dans un désert sorti de Star Wars est une pure splen­deur, les touches d’hu­mour ne virent jamais au gadget et la choré­gra­phie des simili-Vénus au premier acte vient habi­le­ment habi­ter un plateau par ailleurs très sobre, s’ou­vrant sur une explo­ra­tion de la bouche de Vénus en vidéo 3D ! Qui a dit que l’opéra était ringard ? Au deuxième acte, il vous faudra quand même vous farcir le concours de chant le moins chanté et le plus inter­mi­nable du réper­toire lyrique, mais là encore, David Hermann y apporte ce qu’il faut d’hu­mour et de spec­tacle, dans une arène à la Gladia­tor.

Daniele Rustioni aux saluts le soir où nous y étions. (photo maison)

Daniele Rustioni, le prince du drame

Mais dès les premiers instants, Wagner est bien dans la fosse : Daniele Rustioni – qui nous promet un opéra germa­nique à chaque début de saison (tant qu’il ne laisse pas tomber Verdi, on est d’ac­cord !)- confère à son Tannhäu­ser un roman­tisme sincère en même qu’un rêve de grand opéra à la française dès l’ou­ver­ture. Le premier quart d’heure instru­men­tal est une splen­deur, tout comme le drame qu’il parvient à nouer dans la gravité du troi­sième acte, qui démontre une nouvelle fois le grand drama­turge de la baguette qu’il fait, jamais seule­ment dans l’ef­fu­sion.

L’en­semble final tient du bigger than life comme on l’aime à l’opéra : tutti à 200 sur scène, décors et lumières somp­tueux et lachages de grandes orgues wagné­riennes (on n’en­va­hira pas la Polo­gne…). Comme quoi, d’une oeuvre mineure peut surgir une grande produc­tion, à condi­tion de savoir la détour­ner… Ça a souvent été le cas avec Tann­haü­ser : Robert Carsen en avait fait un peintre à la Pollock dans une très belle produc­tion à l’Opéra de Paris. Ici, David Hermann en fait un voya­geur de son propre espace intime dans des décors cosmiques. C’est futé, magni­fique­ment réalisé, et ça fonc­tionne parfai­te­ment. Comme le public qui applau­dit un quart d’heure à la fin dans un opéra archi-complet, on en rede­mande. Qui a dit que l’opéra n’était pas popu­laire ?

Tannhäu­ser de Richard Wagner. Dir mus Daniele Rustioni. Mise en scène David Hermann. Jusqu’au dimanche 30 octobre à 19h (dim 16h) à l’Opéra de Lyon, Lyon 1er. De 10 à 110 €. (annoncé complet, s’ins­crire sur liste d’at­tente)

La Wolfram de Chris­toph Pohl lors de sa fameuse romance à l’étoile. (photos Agathe Poupe­ney)