Ce sont les nounours punks du cinéma français, s’at­ta­chant aux lais­sés pour compte de la société. Ceux qu’on ne montre que trop peu sur grand écran, pas assez riches ni assez pauvres pour être sexy, trop loufoques pour fédé­rer. Voilà main­te­nant 11 films que Gustave Kervern et Benoît Delé­pine se font une spécia­lité de la France des margi­naux et des outsi­ders du système avec leurs comé­dies sociales. Après avoir tourné en déri­sion l’ob­ses­sion de la réus­site dans I feel good puis la poli­tique dans En même temps, le duo s’at­taquait en 2020 avec Effa­cer l’his­to­rique à un morceau costaud: les nouvelles tech­no­lo­gies et la frac­ture numé­rique, révé­lant les autres frac­tures sociales et écono­miques qui se cachent derrière ces nouveaux outils.

Effa­cer l’his­to­rique ou l’ul­tra-moderne soli­tude connec­tée

Chris­tine, chauf­feur VTC, galère à faire décol­ler les notes que ses clients lui attri­bue, Bertrand, qui entre­tient une rela­tion ambi­guë avec une opéra­trice télé­pho­nique, veut venger sa fille harce­lée sur les réseaux, Tandis que Marie, elle, est prise au piège à cause d’une sextape. Tous sont dépas­sés par l’in­va­sion tech­no­lo­gique. Dans une France péri­phé­rique post-gilets jaunes, Effa­cer l’his­to­rique raconte l’ul­tra-moderne soli­tude de nos socié­tés trop connec­tées, esquis­sant en arrière-plan des problé­ma­tiques aussi diverses que la protec­tion de la vie privée, l’ubé­ri­sa­tion du travail ou la déma­té­ria­li­sa­tion des services.

Corinne Masiero, Denis Poda­ly­dès et Blanche Gardin dans Effa­cer l’his­to­rique.

Kervern et Delé­pine dans la France des Gilets jaunes

Raconté comme ça, le film pour­rait faire peur et il est on ne peut plus grinçant (Poda­ly­dès en prise avec son… sperme !). Mais c’est sans comp­ter toute la cocas­se­rie de Kervern et Delé­pine que les réali­sa­teurs utilisent pour plon­ger leurs person­nages dans les situa­tions les plus absurdes, sans jamais se dépar­tir de leur tendresse pour ces Don Quichotte modernes qui veulent s’at­taquer au Cloud, le dieu anonyme ultime.

Blanche Gardin, Vincent Lacoste, Denis Poda­ly­dès…

Ces derniers sont portés par des acteurs aux petits oignons, d’une Blanche Gardin apathique face à l’ac­cu­mu­la­tion de problèmes à un Denis Poda­ly­dès qui excelle en père à la ramasse, en passant par une Corinne Masiero nostal­gique de l’époque où elle occu­pait les ronds-points avec les Gilets jaunes. On croise même des seconds rôles de luxe tels que Benoît Poel­voorde en livreur à vélo au bord de l’in­far­c­tus, ou Vincent Lacoste en maître chan­teur de bas-étage. Autant de person­nages dans les manies desquels chacun se recon­naî­tra.

Une Blanche Gardin qui planque la liste de ses multiples mots de passe dans le frigo, ça parle à tout le monde aussi loufoque que soit la situa­tion. Et c’est la réus­site d’Effa­cer l’his­to­rique. rassem­bler tous les publics pour recréer le lien perdu le temps d’une séance, a fortiori quand vous pouvez en profi­ter gratui­te­ment chez vous. Un film salva­teur qui vous donne­rait presque envie d’ar­rê­ter votre abon­ne­ment mobile, si seule­ment c’était si faci­le… C.S.

Effa­cer l’his­to­rique de Gustave Kervern et Benoît Delé­pine (2020, Fr, 1h46) avec Blanche Gardin, Denis Poda­ly­dès, Corinne Masie­ro… Lundi 14 août à 21h10 sur France 3 puis en replay jusqu’au 21 août.