Voyez-vous ces Chemins noirs, film de marche dépouillé,  comme un nouveau virage ?

Jean Dujar­din : “J’étais content que ça arrive, j’étais content que Denis (Imbert, ndlr) m’ap­pelle, en plus pour un livre que je ne pensais pas adap­ta­ble… J’ai lu le livre et j’at­ten­dais quelque chose comme ça : de traver­ser des régions et de désha­biller un peu mon jeu, d’être plus détendu, de faire un film comme si on n’al­lait jamais le montrer presque ! C’était un peu un moyen pour moi de faire le point à 50 ans, tout en conti­nuant mon métier…

« Ce film était un moyen pour moi de faire le point à 50 ans, de désha­biller un peu mon jeu… »

JEAN DUJARDIN

Comment incarne-t-on Sylvain Tesson ?

Je ne voulais surtout pas être un avatar, essayer de l’imi­ter, encore moins d’avoir des tics pour expri­mer la souf­france. Je voulais entrer dans son univers, pas le jouer, et on voulait que le film soit comme une varia­tion ciné­ma­to­gra­phique. C’est une discus­sion qu’on a eu le premier soir où il est venu nous voir sur le tour­nage. Il me disait que j’au­rais pu peut-être noter mes impres­sions dans un carnet etc… Je l’ai arrêté tout de suite en lui disant que c’était son travail à lui.

Jean Dujar­din en Sylvain Tesson.

Les carnets, ce sont ses enfants, c’est sa méthode. Moi je suis un acteur, je dois être dispo­nible à ce qu’il se passe, pas scel­ler quelque chose sur un papier. Je dois couper du bois ou faire du feu, des choses simples qui vont produire une évoca­tion chez les gens. Mais surtout pas penser. Encore moins être plus fort que le décor de la nature.

Mais je n’ai pas eu de mal avec tout ça.  C’est un choix. On le décide. Comme de moins contrô­ler son jeu. Sylvain Tesson m’a seule­ment dit “tu as le bon pas, le pas des gens qui vont loin”. Ça m’al­lait bien ! (rires) Sinon, j’ai vrai­ment fait comme si ce film ne verrait jamais le jour, ce qui est plutôt confort.

Jean Dujardin karpa bleue marche le long d'un lac en montagne avec ses béquilles.
Le bon pas de Jean Dujar­din en Sylvain Tesson dans Sur les chemins noirs.

« On ne passe pas dans le Cantal, on y va, c’est une déci­sion ! Mais les lumières obliques à 7h du mat’ y sont vrai­ment magiques. »

JEAN DUJARDIN

Vous connais­siez certains endroits du parcours?

J’en ai vrai­ment décou­vert certains, le Cantal typique­ment. On ne passe pas par le Cantal, on va dans le Cantal, c’est une déci­sion ! Donc j’ai évidem­ment tout décou­vert au fur et à mesure. J’ai décou­vert un très joli silence, des villages qui étaient parfois très aimables ou très aban­don­nés.

Mais je restais malgré tout dans la tête de mon person­nage, je ne pouvais pas être un simple touriste. Je devais m’in­ven­ter une douleur, un souve­nir… Mais j’ai décou­vert des choses abso­lu­ment sublimes. Les lumières obliques dans la Cantal à 7h du mat, c’est quelque chose !

Au post-géné­rique à la fin du film, on voit Sylvain Tesson qui évoque vos points communs, comme le goût pour la nature et le travail. Mais il ne parle pas de son goût pour aller toujours plus loin avec une forme d’in­ten­sité extrême. Vous pour­riez l’avoir ?

Non, je suis plus sage, beau­coup plus sage que ça… (sourires) Même si j’aime bien ne pas être sage… Il me faut vrai­ment les deux ! Je cherche toujours l’équi­libre, et quand je ne l’ai pas, je suis très malheu­reux. Le cinéma ne pren­dra pas toute la place dans ma vie, je ne serai pas tout le temps sur moi. J’aime m’oc­cu­per des miens. Donc ça veut dire de la respon­sa­bi­lité.

« Ce que vit Sylvain Tesson est impos­sible pour moi, j’ai trop besoin d’équi­libre. Mais si je le fais croire, c’est déjà pas mal, j’ai mon métier pour ça. »
JEAN DUJARDIN

Ce que vit Sylvain, pour moi, c’est impos­sible. C’est quelqu’un qui s’amuse tout le temps avec l’idée de la mort pour moins se sentir mortel. Il n’en parle jamais véri­ta­ble­ment d’ailleurs. Je ne sais pas si c’est du courage, ou une façon de s’amu­ser avec la vie. ça lui a coûté cher, il le sait, mais il conti­nue… Je n’ai pas ce même appé­tit de danger, je ne suis pas là-dedans.  Mais je peux le vivre par procu­ra­tion, j’ai mon métier pour ça ! Si je le fais croire, c’est déjà pas mal…”

Sur les chemins noirs de Denis Imbert (Fr, 1h35) avec Jean Dujar­­din, José­­phine Japy, Izia Hige­­lin, Dylan Robert… Désor­mais dispo­nible sur OCS.

Jean Dujardin sac à dos, béquilles devant un troupeau de montons dans Sur les chemins noirs.